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le général de Galliffet, M. Waldeck-Rousseau, M. Millerand, M. Pierre Baudin, M. de Lanessan pourront gouverner ensemble, et comment pourra se maintenir, pour leur prêter son appui, une majorité qui va de M. Aynard à M. Viviani. On nous dit que cette seconde difficulté sera supprimée par le prochain départ des Chambres ; soit, et c’est tant mieux ; mais il reste la première. Si un pareil gouvernement, même en l’absence des Chambres, peut se maintenir trois mois, nous nous demanderons pourquoi M. Naquet a introduit le divorce seulement dans nos mœurs privées, alors qu’il serait si utile dans nos mœurs publiques. Faudra-t-il croire que tous les embarras des ministres viennent des Chambres ? Cette constatation serait sans doute peu flatteuse pour les Chambres, mais elle le serait encore moins pour les ministres. Il y a dans le ministère deux élémens trop opposés pour que l’un n’élimine pas l’autre. C’est une question de temps, et sans doute de peu de temps.

Quelques augures disent, il est vrai, que le ministère ne désire pas lui-même se perpétuer au pouvoir et que, dans sa pensée, ses jours sont mesurés à la durée de l’affaire qui va être soumise au Conseil de guerre de Rennes. Nous ne voulons pas le croire, car ce serait la première fois qu’un ministère aurait été constitué uniquement en vue de l’affaire Dreyfus, et, malgré toute l’importance que celle-ci a prise, il y aurait quelque chose de pénible à penser qu’elle a pesé d’un pareil poids sur notre gouvernement. Nous rendons d’ailleurs au ministère la justice qu’en ce qui concerne cette affaire, qu’il ne pouvait pas avoir l’air d’ignorer, sa déclaration a été parfaitement correcte, et de nature à satisfaire les susceptibilités les plus ombrageuses. « Il ne dépendra pas de lui, a-t-il dit, que la justice n’accomplisse son œuvre dans la plénitude de son indépendance. Il est résolu à faire respecter tous les arrêts. Il ne sait pas distinguer entre ceux qui ont la redoutable mission de juger les hommes, et, si le vœu du pays est avant tout écouté, c’est dans le silence et dans le respect que se prépareront ses décisions. » Il n’y a pas, en effet, de distinction à faire entre des juridictions également constituées par la loi : qu’elles soient militaires ou civiles, elle s’méritent le même respect, et les arrêts de l’une sont sacrés comme ceux de l’autre. Prise dans son ensemble, la déclaration du gouvernement est très incolore ; elle ne donne pas du tout le sentiment que nous sommes dans des circonstances extraordinaires ; c’est une déclaration banale, que nous avons déjà entendue vingt fois, et le tumulte de la séance n’a malheureusement pas permis à M. le Président du Conseil de la compléter par les explications qu’on attendait de lui.