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son chef, le client à son patron, le gentilhomme à son seigneur, et que jamais le supérieur, par un juste retour, n’abandonnât ses créatures ou ses domestiques, eussent-ils cent fois tort. Gaston le savait ; il savait qu’il se déshonorait aux yeux de la France en livrant ceux qui s’étaient compromis pour lui, mais il s’en moquait, comme ceux de nos fils qui ont le malheur de lui ressembler se moquent de l’idée plus haute et plus large de patrie, substituée de nos jours à celle de la fidélité personnelle, comme ils se moquent de toutes les autres idées qui exigeraient de leur part un effort ou un sacrifice. Il ne faudrait pas se représenter Monsieur en poltron accablé sous la honte et désespéré de sa faiblesse. C’était un prince très gai, très brillant, et parfaitement résigné à être lâche selon les jugemens du monde.

Sa vivacité était extraordinaire ; on ne s’y accoutumait point. Il n’était plus jeune qu’il fallait encore lui boutonner ses vêtemens à la course. Il voltigeait et pirouettait sans interruption, la main dans sa poche, le chapeau sur l’oreille, et toujours sifflotant : « A son inquiétude habituelle et à ses grimaces, écrivait l’indulgente Mme de Motteville, il est aisé de voir en sa personne sa naissance et sa grandeur. » D’autres goûtaient moins ses manières. Un gentilhomme qui avait été à lui, alors que Monsieur était encore tout jeune, le revoyant sous Mazarin et le retrouvant le même, s’en fuit en criant : « Le voilà tout aussi fichu que du temps du cardinal de Richelieu. Je ne le saluerai pas. »

Les portraits de Monsieur ne sont pas pour contredire l’impression des contemporains. Il est joli. La figure, un peu longue, a beaucoup de finesse. Les yeux sont spirituels, la physionomie est pleine d’agrément, malgré une pointe de suffisance et, dans l’une des toiles, de gouaillerie. Il y a néanmoins dans cet aimable ensemble un je ne sais quoi qui donne envie de se sauver sans saluer, comme le vieux gentilhomme. La vilaine âme transparaît à travers le charmant visage, comme elle transparaissait jadis, pour ceux qui le fréquentaient, à travers les dons les plus heureux de l’intelligence. Retz déclare que M. le duc d’Orléans avait « un esprit beau et éclairé. » De l’avis général, « il parlait admirablement bien[1]. » C’était un artiste, grand amateur de tableaux et de bibelots, bon graveur sur médailles, et un dilettante de lettres, aimant à lire, s’intéressant aux idées et sachant « beaucoup de

  1. Mémoires de la duchesse de Nemours.