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d’être toutes et toujours dirigées contre Richelieu. Le roi venant à manquer, le cardinal savait qu’il « n’avait pas deux jours à vivre, » et le roi paraissait à chaque instant à deux doigts de la mort. Michelet a écrit une page saisissante sur « la souffrance du grand homme d’affaires, » gaspillant son temps et usant ses forces à se débattre contre « je ne sais combien de pointes d’invisibles insectes dont il était piqué. » La seule Marie de Médicis tenait avec le roi pour Richelieu dans cet hiver critique de 1626-1627. Le cardinal était sa créature. Il y avait bien des souvenirs entre eux, et de plus d’un genre. Quelques années auparavant, Richelieu s’était donné la peine d’être amoureux de cette régente quadragénaire et avait eu tous les courages pour réussir à toucher son cœur ; la cour de France l’avait vu prendre des leçons de luth parce que la reine mère avait eu la fantaisie, à son âge et avec sa tournure, de se remettre à jouer du luth comme une petite fille. Marie de Médicis ne s’était pas montrée insensible, et elle n’avait rien oublié, mais elle allait oublier ; le moment approchait où Richelieu aurait endossé inutilement le ridicule de soupirer en musique aux pieds de cette grosse femme.

En apparence, pour un étranger, la cour de France n’avait jamais été plus gaie. Les fêtes s’y succédaient. Il y eut dans l’hiver deux grands ballets au Louvre, dansés par la fleur de la noblesse, le roi en tête. Louis XIII adorait ces exhibitions, qui déroutent nos idées démocratiques sur la majesté royale. L’hiver précédent, il avait invité les bourgeois de Paris. à venir à l’Hôtel de Ville contempler leur monarque, avec sa face de croque-mort, dansant son grand pas sous un costume de carnaval. « Je veux, avait-il dit, honorer la Ville de cette action. » Les bourgeois de Paris s’étaient rendus à l’invitation ; ils avaient attendu avec leurs femmes depuis quatre heures de l’après-midi jusqu’à cinq heures du matin que les entrechats royaux fissent leur apparition. La fête ne s’était terminée qu’à près de midi.

Monsieur prenait sa large part des plaisirs officiels, et il avait aussi les siens dans son particulier, tantôt très enfantins, tantôt très intelligens et en avance sur les idées du temps, qui obligeaient les gens du monde à abandonner les spéculations sérieuses aux beaux-esprits de profession. Une ou deux fois la semaine, Gaston conviait un cénacle choisi de grands seigneurs et de gentilshommes à discuter des points de morale ou des questions de politique désignés à l’avance. Lui-même payait de sa