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par rapport au bien public, et, quoiqu’on n’y fasse guère moins de fautes que dans celle des filles, du moins on est persuadé qu’il faut beaucoup de lumière pour y réussir. » On s’en remettait généralement au monde du soin de former les femmes et de leur polir l’esprit. C’est l’origine des grandes inégalités qu’on remarque entre elles, dans les mêmes classes, selon qu’elles s’étaient trouvées plus ou moins bien placées pour s’instruire au spectacle de la vie et dans la conversation des honnêtes gens. Les privilégiées étaient celles qui avaient grandi, comme Mademoiselle et ses familières, dans les cercles où se parlait et se faisait l’histoire de leur temps. Leurs meilleurs maîtres avaient été les hommes de leur entourage, qui intriguaient, conspiraient, se battaient et mouraient sous leurs yeux, et très souvent pour leur complaire. Les existences tourmentées et périlleuses de ces hommes, leurs chimères et leur romantisme en action furent d’admirables leçons pour les futures héroïnes de la Fronde.

On ne comprendrait pas les élèves si l’on ne considérait d’abord les maîtres. Comment s’étaient formés ces professeurs d’énergie ? Dans quel moule s’était coulée cette race de cavaliers entreprenans et agités qui fit surgir, modelée à son image, une génération d’amazones ? C’est tout le système d’éducation de la France d’alors qui est ici en cause. Il vaut la peine d’être examiné de près et en détail.


IV


Les garçons étaient préparés dès l’enfance à la vie ardente et pressée de leur temps. On les élevait d’après une idée arrêtée, commune au riche et au pauvre, au noble et au roturier. L’objet de l’éducation masculine était de faire des hommes de très bonne heure. Il n’y avait divergence entre le gentilhomme et le bourgeois que sur la meilleure manière de s’y prendre : le premier estimait que rien ne vaut l’action pour façonner à l’action ; le second tenait les humanités pour le seul fondement d’une éducation virile et pratique. Quelle que fût la méthode adoptée, un jeune homme devait entrer dans la vie active à l’âge où nos fils commencent à peine l’interminable série de leurs examens. A dix-huit ans, à seize, quelquefois à quinze, un Gassion, un La Rochefoucauld, un Pontis, un Orner Talon, un Arnauld d’Andilly, étaient officiers, avocats, fonctionnaires ; et les affaires en