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sa folie. Il disait en songeant à ce projet extravagant : « La jeunesse est une ivresse continuelle ; c’est la fièvre de la raison. »

Louis de Pontis, l’un des familiers de Louis XIII, était un cadet de Provence dont plus d’une aventure a défrayé nos romans de cape et d’épée. Il était né en 1583 : « Etant âgé de quatorze ans, disent ses Mémoires, et ayant perdu mon père et ma mère, je sentis une inclination extraordinaire pour la guerre, et je résolus de commencer à en apprendre le métier. » Après deux années de régiment, se sentant mûr pour les grandes actions, Pontis arrive à Paris, pauvre comme D’Artagnan à ses débuts, monté comme lui sur une rosse, et s’en va trouver Crillon, qu’il intéresse à son sort. Le voilà au régiment des Gardes devant que d’avoir fini de grandir, et rangé à l’instant parmi ceux qu’on était sûr de trouver là où il y avait une frasque à commettre ou un danger à courir. Chevaleresque et intrépide, plein d’invention et d’audace, il vécut flamberge au vent, semant les actions héroïques, marchant dans tous les guêpiers, aujourd’hui l’admiration de l’armée, demain à deux doigts d’être fusillé ou pendu. L’un de ses plus beaux exploits fut de défendre un château fortifié avec trois hommes, pour le compte du futur maréchal de Créqui, qui avait une petite guerre privée avec sa sœur, Mme de Monravel. Ils se disputaient une terre proche Juvisy, et avaient trouvé plus simple de régler leur affaire par les armes que de recourir à la chicane. Mme de Monravel était en possession du château, qu’elle faisait garder par des gens à elle. Pontis mit les gardes dehors, moitié par ruse, moitié par force, et s’installa en leur lieu et place. Mme de Monravel le fit assiéger par un prévôt accompagné de ses archers et de « tous les paysans de quatre ou cinq villages voisins. » Il intimida les assaillans par des trucs de féerie : — « Toutes les nuits, nous faisions paraître plus de cinquante mèches allumées sur des perches qui en portaient dix ou douze, chacune espacée ainsi que des mousquetaires. De plus, on en mettait à tous les coins de la maison, et on les remuait de temps en temps, pour faire croire qu’on relevait les sentinelles. » L’ennemi crut à une vraie garnison, demanda du renfort, du canon et se prépara à un assaut dans les règles. Quand Pontis vit que le jeu devenait sérieux, il profita de la nuit pour se laisser glisser du haut des murs le long d’une corde. Ses hommes en firent autant. Ils coururent tous ensemble aux assiégeans avec le plus de tapage possible, en criant : Tue ! Tue ! et profitèrent de leur