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fait non plus de difficulté de citer les auteurs les plus inconnus, en une conversation ordinaire, que si elle enseignait publiquement dans quelque académie célèbre… Elle cherche… avec un soin étrange à faire connaître tout ce qu’elle sait, ou tout ce qu’elle croit savoir, dès la première fois qu’on la voit ; et il y a enfin tant de choses fâcheuses, incommodes et désagréables en Damophile, qu’on peut assurer que, comme il n’y a rien de plus aimable ni de plus charmant qu’une femme qui s’est donné la peine d’orner son esprit de mille agréables connaissances, quand elle en sait bien user, il n’y a rien aussi de si ridicule et de si ennuyeux qu’une femme sottement savante. »

Mlle de Scudéry enrageait quand des maladroits, la prenant pour une Damophile et cherchant à lui dire quelque chose d’agréable, la consultaient « sur la grammaire » ou « touchant un vers d’Hésiode. » Son dépit retombait sur les « savantes, » à qui elle reprochait de donner raison aux préjugés et d’être cause, par leur insupportable pédanterie, que tant de jeunes filles, dans les meilleures familles, n’apprenaient même pas leur langue et pouvaient à peine se faire comprendre la plume à la main. « La plupart des dames, dit son Nicanor, semblent écrire pour n’être pas entendues, tant il y a peu de liaison en leurs paroles et tant leur orthographe est bizarre. » — « Il est certain, réplique Sapho, qu’il y a des femmes qui parlent bien, qui écrivent mal, et qui écrivent mal purement par leur faute… Cela vient sans doute de ce que la plupart des femmes n’aiment point à lire, ou de ce qu’elles lisent sans aucune application et sans faire même nulle réflexion sur ce qu’elles ont lu ; ainsi, quoiqu’elles aient lu mille et mille fois les mêmes paroles qu’elles écrivent, elles les écrivent pourtant tout de travers, et en mettant les lettres les unes pour les autres, elles font une confusion qu’on ne saurait débrouiller, à moins que d’y être fort accoutumé. — Ce que vous dites est tellement vrai, reprend Erinne, que je fis hier une visite à une de mes amies qui est revenue de la campagne, à qui j’ai reporté toutes les lettres qu’elle m’a écrites pendant qu’elle y était, afin qu’elle me les lût. »

Mlle de Scudéry n’exagérait pas. Nos arrière-grand’mères ne voyaient pas l’utilité de mettre l’orthographe. Chacune s’en tirait à la grâce de Dieu. La marquise de Sablé, « sérieuse et même savante, » au témoignage de Sapho, « le type de la parfaite précieuse, » d’après Cousin, écrivait j’husse, notre broulerie, votre