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s’y vouent, une profession comme une autre, que souvent on embrasse pour les chances de gain que l’on croit y trouver.

On sait quelle part la tradition fait, dans notre système d’éducation classique, à l’histoire et aux écrivains du XVIIe siècle français. Or, ni cette histoire, si on la réduit au récit des batailles et des négociations, ni cette littérature, pour riche et variée qu’elle soit, ne rendent raison, à elles seules, de la situation que Louis XIV occupait alors en Europe, admiré, imité ou plutôt singé par ceux mêmes qui le haïssaient le plus, conçu comme le type par excellence du roi moderne. N’avons-nous pas vu, après deux siècles, ce prestige s’imposer encore à l’esprit malade du roi Louis II de Bavière ? Celui-ci, dans son désir de copier le modèle qu’il s’était choisi, se ruina surtout à construire des palais. Dans sa folie, il y avait du sens. Si Louis XIV mourant s’accusait d’avoir trop aimé à bâtir, ses édifices, avec leur majestueuse ampleur et l’opulence de leur décor, firent à cette vie royale un cadre qui fut pour beaucoup dans cette sorte d’éblouissement que l’Europe éprouva en face du Roi-Soleil. Veut-on retrouver et ressentir, ne fût-ce qu’un moment, quelque chose de cette impression qui fut celle de tous les contemporains, il faut aller à Versailles, parcourir les appartemens du château, les terrasses et les allées du parc. Sans doute, tous les lycées de France ne sont pas, comme Condorcet, à deux pas de la gare de l’Ouest ; mais partout il serait possible au maître de décrire Versailles et d’en montrer, dans une suite d’images, les aspects principaux ; il aura ainsi projeté sur cette figure historique un jour bien autrement vif que s’il se contente de faire apprendre par cœur à l’écolier toutes les campagnes de Turenne et de Condé, toutes les clauses des traités de Nimègue et de Ryswick.

Il en est de même pour notre XVIIIe siècle ; on n’en aura qu’une idée très incomplète, si l’on ne sait rien de son art. Ce siècle, auquel Voltaire donne le ton, paraît n’avoir pas eu le sens de la poésie ; tout ce qu’il appelle de ce nom n’est guère, jusqu’à André Chénier, que de la prose rimée. L’imagination n’a pourtant pas perdu ses droits ; mais, comme une eau qui change de lit, elle semble s’être retirée des lettres, et réservée pour les arts du dessin. C’est là qu’elle fait preuve d’invention, d’une grâce libre et légère. Les architectes adoptent des plans d’une heureuse disposition ; ils affectent des formes d’une rare élégance soit aux élémens mêmes de la construction, soit aux ornemens qui les décorent. Des