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Là où il n’y avait qu’un substantif neutre : Das Præsidium, il y a désormais un substantif masculin, et de tous les substantifs masculins celui qui exprime le plus de puissance, der Kaiser, César. Au lieu d’une Allemagne diffuse et impalpable, c’est à présent une Allemagne tangible et vertébrée. Il est poussé une tête à l’aigle allemande, à l’aigle aux ailes déchiquetées, et cette tête porte une couronne impériale, que toute la science officielle des Universités d’outre-Rhin s’emploie à faire prendre au monde pour la couronne de Charlemagne. On veut que ce jeune Empire soit très ancien, que cet Empire allemand soit l’héritier et le continuateur, le prolongement et comme la seconde période du Saint Empire romain des nations germaniques, auquel il ne ressemble pourtant qu’assez peu et d’assez loin ; — heureusement pour lui, car il est bien plus fort. — Et même, beaucoup plus qu’il ne ressemble au Saint Empire, l’Empire allemand en diffère : et par son aire territoriale ou ses bases ethnographiques : et par le principe même de son établissement, étant héréditaire, et non pas électif (à quelque simulacre qu’ait été peu à peu réduite l’élection dans l’Empire romain) ; et par l’objet, par la mission qu’il s’assigne, puisque le vieil Empire, sans armée, sans finances, presque sans moyens de contrainte, était tout de paix et de justice, et, pour ainsi dire, plutôt idéal que réel : sorte de haut aréopage ou de suprême tribunal international entre les nations appelées germaniques ; tandis que l’Empire d’aujourd’hui est l’Empire prussien de la nation allemande ; État parfaitement physique et matériel, militaire et utilitaire, tendu tout entier à l’action.

Au-dessous de l’Empereur, comme autrefois, il y a le chancelier, mais ce n’est plus quelque dignitaire d’Eglise au titre vain et vide ; ce n’est plus un maître des cérémonies, ni un clerc habile dans l’art d’attacher à des diplômes des sceaux d’or, de plomb ou de cire. À dire vrai, la constitution, qui lui fait une place dans le gouvernement de l’Empire, ne délimite guère, ne détermine guère cette place. Le texte mentionne deux ou trois fois le chancelier ; pas davantage ; mais, par tous ses trous et toutes ses lacunes, il passe, et par tous les trous et toutes les lacunes de la constitution, ce qui passe ainsi, c’est, en 1871, et pour vingt ans. — les vingt années où s’accomplit la cristallisation de l’Allemagne autour de ce dur noyau, — c’est la grande personnalité de Bismarck. La première institution de l’Empire, après l’Empereur, avec l’Empereur, ou avant l’Empereur, — cela dé-