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leur originalité. C’est donc parmi eux qu’on a quelque chance de trouver encore des traces éclatantes du pittoresque purement romain, le dimanche, par exemple, au sortir de la messe à Santa Maria in Trastevere, quand les femmes ont revêtu leur costume traditionnel, le jupon droit et un peu court, le fichu aux couleurs voyantes qui dégage le cou et laisse voir le corset rigide et large. Mais ce qu’il y faut chercher surtout, c’est quelque chose de moins immédiatement sensible et de plus durable, de plus réel : — c’est l’originalité du langage, des sentimens, des idées, c’est ce pittoresque de l’âme que Stendhal y goûtait tant.

Les visites aux cabarets, aux osterie où les hommes se réunissent le soir pour jouer, pour boire, pour rire et pour se conter les uns aux autres des histoires, ne seraient pas toujours sûres pour un étranger seul : s’il y a des osterie d’honnêtes gens, il y en a aussi de moins bien fréquentées. Pour ne courir aucun risque et se trouver à l’aise, il importe d’être mis au fait des usages locaux, des « bonnes manières » du quartier, et aussi des idées propres à chaque milieu. Telle osteria, par exemple, est une osteria de républicains et d’anticléricaux. Tout le monde fait cercle autour d’un vieillard vénérable qui radote péniblement toujours le même récit de bataille : c’est, paraît-il, un héros de la prise de Rome. On vous le présente sous le nom de « l’Histoire Vivante. » Il faut admirer l’Histoire Vivante, et respectueusement provoquer ses saillies patriotiques. En quelque osteria qu’on soit, il convient d’observer les coutumes et de se conformer à l’étiquette. Ne versez pas le vin à vos invités de la main gauche : c’est une injure réservée aux traîtres et au bourreau. Si un buveur vous offre son verre après y avoir trempé ses lèvres, acceptez avec reconnaissance : c’est marque d’honneur et d’amitié. L’hommage, pour flatteur qu’il soit, peut gêner. Aussi procède-t-on d’ordinaire d’une autre façon : celui qui offre à boire verse d’abord une goutte dans son verre ; et cette goutte, qui passe de son verre dans celui du voisin et ainsi de suite jusqu’au dernier, remplace, comme symbole, le cérémonial complet, qui, lorsque sept ou huit buveurs voudraient se prouver leur estime réciproque en échangeant leurs verres, deviendrait singulièrement embarrassant. Pour moi, lorsque à plusieurs reprises je parcourus les osterie du Trastevere, je n’avais pas à redouter de difficultés d’aucune sorte, accompagné que j’étais de deux notables Trastévérins, tous deux gens de bonne souche et de politesse avisée, — l’un employé de