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de Saint-Pierre j’avais auprès de moi un Romain, quelque chose comme un boucher. Il haussa les épaules presque continuellement. Le pape, entouré de sa cour, précédé des gardes-nobles, parut dans la sedia, entre les porte-glaives. Mon voisin grommelait et haussait les épaules, tandis que la foule applaudissait d’une grande clameur sous les bénédictions. Il fut peu recueilli, mécontent, impatient durant la messe. Après la messe, le pape remonta sur la sedia, qui s’arrêta devant l’autel de la Confession, face à la foule. Alors, on apporta le livre où était inscrite la longue formule de la bénédiction solennelle. Deux cardinaux le tenaient au-dessus de leur tête, et le vieillard, se raidissant de ses poignets sur les bras du fauteuil, à demi soulevé, la tête dressée d’un effort suprême sous le poids de la tiare, chanta la bénédiction. Sous la voûte immense, au-dessus des soixante mille fidèles silencieux, la voix montait. Mon voisin faiblit ; des larmes lui vinrent aux yeux, et se tournant vers moi il me dit, d’une voix qui tremblait : Come canta bene, il poveretto ! Le pauvre, comme il chante bien !


II

Il est à craindre que notre civilisation uniforme, l’application de nos principes et de nos méthodes politiques, et de nos programmes d’instruction, ne laisse subsister que bien peu de chose de cette âme populaire tout ensemble si fruste et si exquise. Heureusement les traits en ont été fixés par des chefs-d’œuvre poétiques écrits dans le langage même du peuple, en dialecte trastévérin. Non pas que ce peuple soit poète : quelques refrains satiriques, quelques ritournelles enfantines forment, avec les épigrammes anonymes qu’on a réunies ou qu’on peut réunir sous le nom de pasquinades, tout le trésor de son folk-lore. Il n’a pas même de ces chansons naïves qui ont prolongé jusqu’à nous l’âme simple de nos laboureurs et de nos soldats, de nos amoureux et de nos amoureuses. Mais il a inspiré un grand poète, — pour mieux dire (car notre siècle a renouvelé le sens du mot poésie), un grand peintre en vers : Giuseppe-Gioacchino Belli, né à Rome en 1791, mort à Rome en 1863, a copié en deux mille cent quarante-deux sonnets tous les propos, tous les gestes, toutes les démarches du peuple de Rome. Si l’on veut avoir l’impression directe, détaillée, minutieusement exacte de la vie multiple de ce petit monde, on la trouve là. On en est enveloppé, pénétré, obsédé.