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de près et de toutes manières ; et rien n’aurait signalé à l’attention ce ménage de hobereaux. Mais le ménage de la baronne Dudevant va devenir un type d’union mal assortie, et le mari un type de pauvre homme. D’abord, il s’appelle Casimir ; ce n’est pas sa faute, mais c’est tout de même un tort. Il n’est pas propre aux affaires de gestion rurale, ni d’ailleurs à aucune sorte d’affaires. Il est homme à aventurer vingt-cinq mille francs sur la garantie d’un navire, « dont on lui a montré l’image. » Il est intéressé ; et plus tard, lors du procès, il inscrira au nombre de ses réclamations douze pots de confiture et un poêle valant un franc cinquante centimes ; devenu, contre sa vocation, une manière de maître de ferme, il prend d’abord les défauts de l’emploi : Hippolyte Chatiron lui fait contracter le goût de la boisson ; il s’avise, à lui tout seul, d’avoir le goût des servantes. Il est brutal, processif, quoi encore ? Il ne manque plus que la note comique. Mais Casimir ne traite-t-il pas sa femme d’« idiote » et ne l’accable-t-il pas de sa supériorité ? Le voilà au complet.

La série des amours de George Sand avait commencé dès le mariage par la liaison platonique avec Aurélien de Sèze ; et sans doute il convenait qu’il en fût ainsi pour qu’aucune variété ne manquât à la collection. Nous voyons ici se profiler une silhouette de jeune magistrat de province honnête, sérieux, réservé, un peu gourmé, très disposé à se prêter au rôle de confident et de directeur de conscience, mais aussi très décidé à éviter tout ce qui pourrait le compromettre, et le jeter dans l’inconnu des voies coupables, semées d’écueils. La liaison avec Sandeau est une escapade d’étudiant fraîchement débarqué de sa province et qui se hâte de jouir de sa liberté toute neuve : on est jeune, on se plaît, on se prend, on se quitte. Avec Mérimée ce fut une erreur dont l’excuse est de n’avoir duré que huit jours ; l’un ne pouvait se faire à cette exaltation qui lui paraissait souverainement ridicule ; l’autre ne pouvait se faire à cette ironie qui lui paraissait misérable. Avec Musset ce fut une application si complète d’un idéal littéraire que lorsqu’on veut donner une idée de ce que pouvait être l’amour romantique dans son expression la plus folle, on évoque aussitôt le souvenir des « amours de Venise. » Jusque-là les hommes que George Sand avait rencontrés n’étaient guère que de grands enfants, pour qui elle avait éprouvé une tendresse semi-maternelle et qui ne pouvaient guère contenter le désir naturel qu’elle avait d’être dominée. Elle crut avoir trouvé le maître attendu, dans l’avocat Michel de Bourges. Ce rhéteur lui plaît justement par son affectation de vertu romaine et d’intransigeance révolutionnaire. Il prêche le nivellement