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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/481

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encore ! si ce n’étaient plus là des romans cosmopolites, mais français ou même parisiens, ils témoignaient tous du même souci de l’observation, mais de cette observation qui choisit, et qui ne déguise pas les raisons de son choix. Si la fable en est parfois moins romanesque, c’est qu’aux bords du Léman les romans qui passaient en poste ne se souciaient pas de se cacher, mais, au contraire, ils aimaient à se faire voir : à Paris, ou dans nos provinces, ils cherchent plutôt à se dissimuler. Et puis, si peut-être l’imagination du romancier avait un peu perdu de sa première fraîcheur, combien en revanche, Messieurs, son ironie n’a-t-elle pas gagné en souplesse ; sa satire n’a-t-elle pas gagné en pénétration ! son information en étendue ! sa manière en ampleur ! Je n’en voudrais pour preuve au besoin que ses plus récens romans : Après fortune faite, et Jacquine Vanesse, le dernier, mais non pas le moins original, ni le moins attrayant qui sera sorti de cette plume infatigable.

Infatigable, c’est bien le mot, puisqu’il n’y a pas huit jours il signait encore de son pseudonyme de Valbert son dernier article ; et l’œuvre de Valbert, à elle seule, n’est pas moins considérable en volume que celle de Cherbuliez. Elle ne l’est pas non plus en intérêt ou en valeur ; et la malignité publique n’a pas manqué d’en prendre quelquefois occasion d’opposer Cherbuliez à Valbert... Mais il n’est interdit qu’à nous de comparer leurs mérites ; et, si nous osions préférer Cherbuliez à Valbert ou Valbert à Cherbuliez, on nous accuserait, et à bon droit, de vouloir partager notre reconnaissance ! Nous nous faisons honneur de la garder entière, une et indivisible.

Certes, l’épreuve était redoutable ; et tant de lecteurs, qui ne connaissaient que le romancier, pouvaient craindre pour lui que le souvenir même de l’auteur du Comte Kostia ne nuisît à l’autorité du publiciste. Mais ceux qui le connaissaient mieux ; ceux qui connaissaient l’homme ; ceux qui savaient quelle diversité d’instruction, quelle solidité de méthode, quelle aptitude universelle il avait comme hérité d’une famille où l’on se délassait des recherches de l’économie politique en relisant Thucydide et Platon ; ceux qui avaient lu les travaux de Victor Cherbuliez sur l’Espagne politique et sur la Prusse et l’Allemagne ; ceux enfin qui l’avaient approché, ceux qui l’avaient entendu parler de politique, ou même de finances, avec autant de compétence que de la Jérusalem du Tasse ou de la Dramaturgie de Lessing, ceux-là n’avaient pas d’inquiétude, et ce qu’ils attendaient de lui, Victor Cherbuliez, pendant un quart de siècle, ne l’a pas seulement réalisé, il l’a passé. Nous serions bien ingrats si nous ne lui rendions ici ce témoignage. Peu d’hommes,