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au dialecte de Valence, elle s’exerçait à l’idiome des Castilles pour qu’il en eût le parfait accent, et ce fut grâce à elle qu’il parla l’espagnol aussi purement que s’il était né à Madrid. Lui, cependant, dévorait les livres, et apprenait le français, l’allemand, les langues anciennes, comme en se jouant. Enfant prodige, dès l’âge de dix ans, il composait des thèses politiques et brochait des nouvelles, une, entre autres, que le naïf écolier, qui avait ouï parler des Mystères de Paris, intitulait avec candeur les Mystères d’Elda, le village natal ! Et il allait, poussant par tout chemin son agile esprit, — hors les mathématiques, où, malgré ses efforts, il échoua toujours.

Dès l’âge de quinze ans, il fut envoyé à l’Université de Madrid. Il y devait suivre les cours de droit. Mais le droit ne le retint guère. Cette science à teinte grise convenait mal à un enthousiaste. En revanche, les belles-lettres, avec la rhétorique qui les met en œuvre, l’enchantaient. Le gouvernement venait de créer une école normale, imitée de la nôtre ; Castelar s’y fit recevoir au concours. Son admission lui assurait une pension de quatre mille réaux et une chaire à la sortie. Dans cette école, il travailla éperdûment : humanités, langues orientales, l’histoire, qui lui devait être l’arsenal où l’orateur puisait à mains pleines, la philosophie, et spécialement la philosophie allemande, fort goûtée en Espagne, l’occupaient tout ensemble. Avec un condisciple, Francisco de Paula Canalejas, il passait des journées à étudier Kant et Hegel. Les deux amis essayaient même d’écrire en commun. De cette collaboration sortit une nouvelle historique, Alphonse le Savant, le seul ouvrage que Castelar ait produit dans des conditions si contraires au libre développement de sa pensée. On remarquera que ses premiers livres furent des romans. C’étaient d’ailleurs des œuvres très faibles, et personne ne les a jugées avec plus de rigueur qu’il ne faisait lui-même. On ne lit plus et peut-être n’a-t-on jamais lu Alphonse le Savant. Pareillement on ne connaît guère que le titre d’une autre fiction, Ernesto, qu’il composait vers l’âge de dix-huit ans. La Hermana de la Caridad (la Sœur de Charité), qui parut plus tard, ne valait pas mieux[1]. J’en dois pourtant dire quelques mots ; car ce roman est caractéristique. Des sentimens fort intimes y sont exprimés avec une

  1. Ce roman a eu néanmoins plusieurs éditions. Celle que j’ai sous les yeux est de l’année 1873.