Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’imagination extatique et chaste du jeune auteur était possédée. Castelar entrait dans la vie avec une ardeur de mysticisme et de prosélytisme tout ensemble, par où il était bien de cette terre d’Espagne, patrie de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix ! L’état de son âme apparaissait alors dans tous ses écrits, dans tous ses discours. Il exaltait « le pur amour » avec une étonnante ingénuité ; il prêchait « la vertu » avec une fièvre de conquête ; il catéchisait les lecteurs de son roman comme des ouailles, usant de formules, — celle-ci, par exemple, — que les journalistes et les politiciens sont peu sujets à prodiguer : « Je ne me lasserai point d’inculquer à mes lecteurs des maximes que je crois de salut... » — Nous retrouverons ces ferveurs d’apôtre, ce langage de piétiste ou de salutiste, dans les leçons de l’Athénée. — En vérité, il devait être un jeune homme étrange et unique, ce poète impatient de se jeter dans la mêlée humaine, ce rêveur qui se préparait à régénérer le monde, ce catholique épris de la Révolution ! « Les idées philosophiques, dit un de ses biographes[1], n’avaient pas encore frappé à la porte de son entendement. Sa pensée souriante ne voyait que la poésie des pratiques religieuses : la messe aux premières heures du matin, où vont les jeunes filles, radieuses comme le printemps ; la communion de Pâques, où les petits enfans s’acheminent vêtus de blanc, semblables aux anges ; les hymnes, l’encens, l’harmonie de l’orgue, tout cela l’enchantait... De cette religion il ne prenait que les fleurs, les parfums, les tourterelles blanches, et l’idée de liberté... » Oui, l’idée de liberté ; par où il était fort éloigné du parti qui allait dominer en Espagne, les néo-catholiques, et de leur illustre chef de file, Donoso Cortès ! Il ne pouvait s’engager à leur suite. Il voyait trop bien où on le mènerait : à la conservation indéfinie des privilèges de classe et, pour tout dire, à un absolutisme clérical. Pour en venir là, il était trop chrétien. Car c’est le christianisme qui l’a fait démocrate. Et ne dites pas qu’il fut inconséquent ! Lui seul était logique : il allait, lui, jusqu’au bout de sa foi. Cette devise sublime et décevante de la Révolution : Liberté, Egalité, Fraternité, qu’était-elle autre chose que la parole du Christ ? Il ne comprenait rien à ces dévots qui font du monde la négation des divins préceptes. Il mesurait l’abîme qui séparait le catholicisme de la liberté ; et il croyait, dans sa candeur, que de l’Evangile

  1. M. Andrès Sanchez del Real, Emilio Castelar, su vida, etc. ; 1 vol. Barcelone, 1873.