croyans. Par là aussi il se rattache à cette autre génération de rénovateurs, les constituans de 1789. Il est, comme eux, un grand optimiste ; il a une foi inébranlable dans la toute-puissance des idées. « Le monde est gouverné par les idées, » dit-il. El mundo se rige por ideas… Cette parole explique sa vie.
Tel il était, durant ces années incertaines, années de croissance morale, de formation et d’initiation, où l’adolescent, au seuil de la carrière, bat des ailes avant de prendre son vol dans cet espace qui lui semble infini. Il terminait son noviciat à l’école normale ; mais sa pensée, audacieuse et inquiète, s’élançait par de la cet horizon borné : impatiente de percer le nuage à travers lequel il semble que les jeunes gens pauvres, isolés et supérieurs aux petites habiletés, abordent ce monde, dont la surface se laisse malaisément entamer par eux. Il errait à l’entour, cherchant sa voie, et, à vingt-deux ans, ne l’avait pas trouvée, lorsque soudain elle s’ouvrit toute grande, à la lueur d’une révolution.
Le parti « modéré » gouvernait depuis onze ans. Représenté par un groupe d’hommes illustres, ce torysme castillan avait dirigé les affaires non sans éclat, manié, sans les fausser par trop, les ressorts parlementaires, et donné à l’Espagne quelques années d’une paix profonde. Son chef militaire, le dur Narvaëz, avait accompli ce prodige de faire traverser au pays sans révolution, presque sans une émeute, l’année terrible pour les rois, l’année 1848. Mais le parti s’était usé dans un si long exercice du pouvoir. Il allait s’émiettant et tombant en ruines. À bout d’expédiens, il ne lui restait plus que des fautes à commettre. Ces libéraux repentis inclinaient vers l’absolutisme ! Le coup d’État du Deux Décembre les avait enchantés ; et ils rêvaient pour leur patrie un régime semblable. Si l’on ajoute les scandales des spéculations auxquelles les concessions de chemins de fer donnèrent lieu, les prétextes que la cour ne cessait de fournir à la malignité publique, l’ennui d’assister indéfiniment à la répétition des mêmes intrigues, de plus en plus mal jouées par les mêmes acteurs, on comprendra comment, en cette année 1804, le pays, — si toutefois il est permis de parler du pays dans les choses d’Espagne, — le pays était mécontent et las. Il demandait ou il attendait un changement. Ce changement fut procuré, selon l’usage, par une révolte militaire.