Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées à travers les âges. Il tire de là d’admirables effets. En son avant-dernière leçon, sur le point de toucher au terme de cet enseignement de quatre années, il retraçait le progrès de la liberté, depuis le Christ ; et, passant la revue des siècles écoulés, les marquant tour à tour du caractère qui distingue chacun d’eux, les montrant tous, artisans éphémères d’une œuvre qui est immortelle, il résumait la colossale énumération dans cette page, où sa jeune éloquence s’élevait à des hauteurs qu’elle n’a, depuis, jamais dépassées.


... Voilà, messieurs, comment se sont unis ces deux pôles de l’histoire : le Christianisme et la Révolution, le premier siècle de notre ère, et le dix-neuvième. Il n’y a qu’un Dieu, a dit le Christ ; il n’y a qu’une humanité, a dit la Révolution. Tous les hommes sont égaux devant Dieu, a dit le Christ ; tous les hommes sont égaux devant la loi, a dit la Révolution. Tous les hommes sont libres, a dit le Christ, et il brisa le joug de la fatalité ; tous les hommes sont libres, a dit la Révolution, et elle brisa le sceptre des rois absolus. Vous êtes tous frères, disait le Christ ; vous êtes tous frères, dit la Révolution. Devant Dieu, il n’y a ni nobles, ni esclaves, dit le Christ ; devant moi, dit la Révolution, point de servitude ! La conscience est libre, criaient les premiers chrétiens sur le gibet et dans les tortures ; la liberté de conscience est inviolable, a dit la Révolution. Et voilà où se rencontrent le Christianisme et la liberté. Voilà comment, si le premier siècle a écrit l’évangile religieux, le nôtre a écrit l’évangile social. Vous êtes fils de Dieu, disait le Christ ; vous êtes hommes, dit la Révolution ; et voilà l’unité du premier et du dernier siècle de l’histoire. Messieurs, dans cette revue des siècles, nous constatons l’existence réelle de cet être supérieur que nous appelons l’humanité, et dont la vie s’appelle l’histoire. L’individu doute ; l’humanité affirme ; l’individu a ses défaillances ; l’humanité est sans tache ; l’individu s’égare ; l’humanité atteint toujours au but ; l’individu chancelle et tombe ; l’humanité se maintient ferme et droite ; l’individu recule ; l’humanité progresse ; l’individu souvent est irréligieux ; l’humanité n’a pas cessé un seul instant, sous une forme ou sous une autre, de communiquer avec Dieu ; enfin l’individu meurt ; mais l’humanité, elle, est immortelle ! C’est pourquoi, de chacun des siècles qu’elle a traversés, il s’élève un hymne infini, qui, pareil aux harmonies de l’orgue sous les voûtes gothiques des cathédrales, pénètre nos âmes d’un sentiment divin. Et, comme, dans la grande chimie de la nature, notre corps est composé de toutes les substances de la terre, ainsi, dans la grande chimie de l’histoire, notre esprit est formé des idées de tous les siècles...


Quel contraste entre ces chevauchées épiques à travers les temps, ces anathèmes et ces bénédictions, ces éclats de voix du prophète, du nabi oriental, cette improvisation éperdue, torrentielle, où les pensées, les imagos, les phrases même jaillissent