La pureté d’extraction, bien que sévèrement maintenue, n’empêcherait pas toutefois la décadence où tombent rapidement les aristocraties fermées, s’il était permis aux descendans d’étalons illustres de s’endormir sur leurs parchemins. Mais, pour prétendre faire souche à leur tour, quel que soit le sang qui coule dans leurs veines, les fils et les filles des vainqueurs les plus fameux doivent faire preuve de mérite personnel. Ceux à qui des tares précoces, des infirmités ou des accidens ne permettraient pas d’affronter les hippodromes sont éliminés dès l’âge le plus tendre, avant même d’être admis à l’école supérieure des courses, je veux dire à l’ « entraînement. » D’autres, incapables de suivre les « exercices, » ou n’ayant joué sur la piste qu’un rôle honteux, disparaissent aux yeux de la bonne compagnie et tombent, par une vente silencieuse, dans l’humilité et le néant d’un métier vulgaire. Ceux-là seuls qui, poulains ou pouliches, se sont montrés, par une carrière honorablement suivie de deux ans et demi à cinq ans environ, dignes des glorieuses maisons dont ils sont sortis ; ceux surtout qui ont su se faire un nom par des triomphes sur les premières scènes, à Longchamps ou à Newmarket, voient leur alliance, à l’heure de la maturité, recherchée par les écuries les plus endiablés. L’espérance de leur paternité, la faveur de leur accointance, se paient au poids de l’or et, dans le loisir confortable — otium cum dignitate — de cette espèce de harem mâle que l’on nomme le haras, ils se reposent des luttes passées en engendrant une suite d’héritiers qui perpétueront leur mémoire.
Ainsi cette noblesse quadrupède, fondée sur l’atavisme et corrigée par la sélection, profitant à la fois des avantages de la tradition et des enseignemens du progrès, ayant les « grandes actions » pour but et pour base, semble un modèle parfait offert à l’imitation des simples bipèdes que nous sommes. Le pur-sang de l’Europe est d’ailleurs, à bien des égards, un produit de l’intelligence moderne. Descendant de cette race précieuse dont les Arabes font remonter l’origine jusqu’aux coursiers de Salomon, de ces kochlani agiles et sobres que l’Asie gardait dans ses plaines brûlantes, du Tigre à la Mer Rouge et de la chaîne du Taurus au golfe d’Aden, le cheval de ces climats secs s’est graduellement modifié sous le ciel brumeux et dans les gras pâturages d’Albion.