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la claire lumière et qui s’allongent lourdement en coulée blonde vers les lointains.

Comment s’appelle-t-il, cet oued mort qui roule vers des horizons indéterminés des flots stériles ? Abdallah ni le guide n’en savent rien. « On ne sait plus. Cela n’a pas de nom. C’est le Grand Désert, »

Dans un coin, où quelques tiges de drinn ont poussé, trois chameaux broutent et nous regardent longuement, longuement avec des yeux mélancoliquement joyeux. D’où viennent-ils ces chameaux ? Que font-ils ici dans l’étendue immense, sans gardiens ? Et ils passent, comme ces tableaux du désert, ces choses qui intriguent, qu’on ignorera toujours et qu’on ne reverra jamais.


Et puis l’immense plateau recommence morne et ensoleillé. Maintenant les sables disparaissent peu à peu, le sol rocheux transparaît, tout gris, des cailloux arrondis comme les galets des plages parsèment l’étendue entre les plantes d’un bleu vert. Sur ce sol plus ferme on se hâte vers l’étape et vers l’eau.

A l’horizon mouvant, la silhouette agrandie d’un Arabe se découpe au-dessus de la moutonnante surface d’un troupeau. L’impression est saisissante : les rencontres sont si rares au désert. Mais quelle occasion de manger un peu de viande fraîche ! Aussi, tandis que la caravane continue de serpenter à l’infini de la plaine, nous nous dirigeons, Abdallah et moi. lui sur son cheval, moi sur mon méhari, vers les moutons aperçus. Une fois là, il faut descendre, s’asseoir au pied du mur vivant des bêtes, échanger des salamaleks sans nombre et prendre des détours infinis avant d’aborder le sujet qui nous occupe. L’homme demande deux piastres ou dix francs. Après une demi-heure de pourparlers, tantôt retors et doucereux, tantôt bruyans, on tombe enfin d’accord pour une piastre, un bel écu qui rougeoie au soleil déclinant. Et sur-le-champ le mouton est saisi, ficelé des quatre pattes, attaché à la croupe du chameau qu’Abdallah monte maintenant. C’est qu’il saura mieux que moi trotter sur la bête secouante, que nous nous sommes attardés et que nous pourrions nous perdre.

À cette heure lumineuse et limpide du soir, la caravane paraît loin, très loin, perdue dans l’étendue vague, désignée seulement à nos yeux par la tache rouge du bassour. C’est notre phare et