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apparence, il eût été le seul républicain ? La satisfaction que lui donnaient les événemens ne pouvait l’abuser sur leur sens véritable. Les seuls noms des auteurs de la révolution déclaraient que ni Serrano, ni Topete, ni Prim n’avaient entendu vaincre pour la république. Quant aux principaux démocrates, Rivero, Martos et les autres, Castelar, j’imagine, les connaissait trop bien pour avoir beaucoup d’illusions touchant leur conduite prochaine ; et, à supposer qu’il en pût avoir, on se chargea bien vite de le détromper. Comme il touchait à la frontière d’Espagne, il recevait de ses amis les démocrates un télégramme où on l’adjurait de ne prononcer, sur son parcours, aucune parole ayant trait à la forme du gouvernement. Il y consentit, n’ayant pas une exacte connaissance de la situation, et, arrivé à Madrid, constata, ce qui était à prévoir, que la fraction la plus notable de son parti s était rapprochée des trois chefs militaires, pour constituer, avec les monarchistes de couleurs très diverses, une association disparate, mais toute-puissante, prête à relever le trône au profit d’un roi. De quel roi ? On ne savait encore ; mais on avait le ferme espoir d’en trouver un.

Dans ces conditions, Castelar était assez gênant ; on sentait bien qu’il ne faiblirait pas, et ne jouerait point sa part dans le jeu qui allait s’ouvrir. Il fallait écarter ce fâcheux doctrinaire, l’envoyer, couronné de fleurs, en pays très lointain, mettre l’Océan entre Madrid et lui. On avait inventé une mission superbe, digne de séduire cette imagination de poète : on devait, à son usage, créer une sorte d’ambassade générale auprès de toutes les républiques américaines. Il irait là-bas, où son nom était populaire, représenter la révolution espagnole. Castelar vit le piège, et n’en fut que plus décidé à suivre sa propre voie. Allant droit au triumvirat militaire, il le supplia de renoncer à la chimère d’un établissement monarchique. — Tenons-nous en à ce qui existe, en l’organisant, disait-il. N’est-ce pas de fait une république ? Et l’ordre en souffre-t-il ? Il ajoutait : Réduisez le droit de suffrage, et limitez la liberté de la presse ; j’accepte, s’il le faut, des restrictions rigoureuses, pourvu que, en échange, vous nous donniez la république. Qu’elle soit aux mains des conservateurs, s’il le faut, mais qu’elle soit ! — Il se contentait d’avoir l’étiquette, bien assuré que la forme, en fin de compte, déterminerait le fond[1].

  1. Castelar a fait lui-même allusion à ces démarches, et rappelé le langage qu’il tint alors aux généraux, dans son discours du 7 mars 1869 contre le projet de constitution et dans sa réplique fameuse du 2 janvier 1874.