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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/770

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Il faut reconnaître que le gouvernement faisait la partie très belle aux républicains. Ils avaient le droit de bafouer cette politique sans nom qui, se jouant à plaisir de l’honneur national, ridiculisait le peuple espagnol aux yeux du monde entier, et humiliait la fierté castillane comme elle ne le fut jamais davantage. Le fait est que l’opinion s’énervait dans l’attente de ce roi inconnu, du roi X, comme on l’appelait, annoncé toujours et toujours vainement ! Et, quand bien même il viendrait à la fin, que durerait-il, ce souverain de pacotille ? Question redoutable, que Castelar ne cessait d’agiter, et que ne voyaient pas, que ne voulaient pas voir tous ces politiciens plongés dans leurs misérables intrigues. J’ai sous les yeux la collection des discours qu’il a prononcés aux Cortès constituantes dans les deux années de l’interrègne[1]. Ces discours sont nombreux et traitent, en apparence, de sujets variés : en réalité, la brûlante, l’effrayante question d’une dynastie étrangère en est le sujet unique ! La même idée, obsédante, reparaît à chaque pas, d’un bout à l’autre des trois volumes, l’idée que cette monarchie implantée ne vivra pas, ne pourra pas vivre, sur la terre d’Espagne. « Eh quoi ! répétait-il, un roi peut-il donc être le produit accidentel de l’occasion, du hasard, du caprice ? Si vous teniez si fort, vous autres monarchistes, à avoir un souverain ; s’il vous fallait cela pour vivre ; si vous considériez cette nation comme incapable de se gouverner par elle-même, alors il fallait tomber à genoux devant l’ancienne dynastie ! Car, voyez-vous, les rois sont dans la société comme les métaux dans la nature : l’œuvre des siècles. » Et, exaltant ce mystérieux pouvoir, cette magie indéfinissable, cette sorte de grâce envoyée d’en haut, qui, dans les vieilles monarchies, est le prestige du monarque, ce prestige qui élève entre sa personne auguste et le reste des humains comme un rempart infranchissable, Castelar disait à ses anciens amis : « Pour faire une royauté, il ne suffit pas qu’un quorum de députés vote dans une salle et choisisse un roi... Vous pouvez bien voter des lois, mais vous ne pouvez pas édicter des croyances. » Il y faut le grand mystère du passé, ses légendes lointaines, son merveilleux, sa poésie, ses gloires ; il faut qu’un nuage d’or flotte autour du berceau d’une dynastie. — Il allait ainsi, dans le mémorable discours auquel j’emprunte ces citations, chef-d’œuvre d’analyse et de psychologie

  1. Discursos parlamentarios en la Asamblea constituyente, 3 volumes, Maddrid, 1871.