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qu’à garder ses ministres radicaux, dont il devenait le prisonnier, ou à déposer sa fragile couronne, d’un métal si léger et d’un poids si lourd ! Amédée signa les décrets qui livraient à tous les hasards cette belle artillerie espagnole, puis, prenant à part Ruiz Zorrilla, il l’informa de son abdication : entrevue suprême d’où le premier ministre sortit, le visage défait, donnant les signes d’une émotion violente, en proie à ses regrets, peut-être à ses remords, et en tout cas désespéré de cette chute soudaine d’un trône qu’il avait tant contribué à établir et à renverser.

Cependant, à la première nouvelle de l’événement, les Cortès s’étaient proclamées en permanence, et bientôt, le Sénat s’étant réuni aux Cortès, les deux chambres allaient se constituer en Assemblée nationale. Castelar y poussait de tous ses efforts. Je ne saurais dire l’ardeur qu’il prodigua en pourparlers fiévreux et en propagande passionnée. Du 10 au 12 février, il ne quitta littéralement pas le palais des Cortès ! On touchait au but ; il s’agissait d’enlever de haute lutte la proclamation de la République. Depuis, j’ai entendu Don Emilio s’accuser, comme d’une faute, d’avoir voulu la proclamation immédiate. « Nous aurions dû, me disait-il, nous en tenir d’abord à un gouvernement provisoire, et réserver le droit des électeurs. Ces Cortès, en somme, n’avaient pas reçu le mandat de faire la République. » Il est certain que cette proclamation semblait légale, à première vue, puisqu’elle émanait du pouvoir législatif, et cependant, à y bien regarder, ne l’était nullement, ou du moins était absolument contraire à l’esprit et au texte de la constitution. Mais Castelar n’apercevait qu’une chose : l’idéal de son âme et de sa vie triomphait ! La Chimère prenait corps ! Cette incarnation s’opéra, à huit heures du soir, le 11 février 1873.


IV

La situation nouvelle offrait ce caractère singulier qu’elle n’était pas sortie d’un pronunciamiento ; pas un soldat n’avait bougé. Pour la première fois depuis l’importation de régime constitutionnel au delà des Pyrénées, on assistait à ce phénomène presque miraculeux : une révolution accomplie sans qu’un général y eût mis la main ! C’était, en apparence, un symptôme de très bon augure ; en réalité, ce fut une cause d’insuccès pour la République, étant donné que les choses se passaient en Espagne.