Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Augusta, issue d’une vieille famille mecklembourgeoise[1], et qui, remarquons-le, fut internée quelque temps dans une maison de santé, mais réussit à démontrer qu’elle l’avait été par erreur. La comtesse a écrit, pour expliquer la mission de sa vie, une brochure mystique, qui a plu à Mme Marholm, parce qu’elle confirme ses idées sur les besoins du cœur et sur la véritable vocation de la femme. Cette Samaritaine protestante, dévoré du besoin de se dévouer, avait été longtemps tourmentée de scrupules poignans, parce qu’elle croyait n’avoir pas assez d’amour pour Jésus.

« Soudain, écrit-elle, une inspiration d’en haut me réconforta. Ce qui importe, pensai-je, ce n’est pas que tu aimes Jésus, mais bien que Jésus t’aime. Dès que tu as bien compris que Jésus t’aime, il s’ensuit naturellement que tu l’aimes à ton tour. » En lisant ces lignes, ajoute Mme Marholm, je songeai : « Nous voilà parvenus au point central de cette personnalité étrange, car nous constatons ici l’aspiration la plus essentielle de la femme, celle de se sentir enveloppée par la chaleur vivifiante d’une affection qui, dans ce cas, se sublime en celle du Fils de Dieu, plein d’amour pour ses créatures. Aussitôt que la vie Imaginative de la femme est assurée de la présence de cette affection nécessaire, tout lui paraît en ordre ; son équilibre intérieur est atteint ; il est inébranlable : elle se sent apaisée, assainie, fortifiée contre toutes les épreuves du dehors. »

À partir de cet instant, la comtesse Schimmelmann s’est imposé les plus pénibles missions. Tantôt, elle se fait la mère adoptive des rudes pécheurs poméraniens de la Baltique, et leur prépare de ses mains des repas chauds et copieux, qui les tiennent éloignés du cabaret pendant leurs courtes escales. Tantôt, au cours de la grande grève qui sévit dans les quartiers nord de Berlin pendant l’hiver de 1892, bravant l’hostilité des déshérités de la grande ville, plus farouches que les aventuriers de la mer, elle va fonder et diriger au milieu d’eux une menuiserie coopérative, afin de fournir du travail à quelques-uns ; aumône plus utile à ses yeux que le don d’un morceau de pain gratuit. Puis elle retourne à la mer, achète un yacht, et entreprend de faire la navette entre les côtes de l’Angleterre et celles du Danemark afin

  1. Famille connue dans l’histoire littéraire de l’Allemagne pour avoir protégé les débuts de Schiller et secouru dans ses infortunes la grande interprète des classiques de l’époque de Gœthe, la tragédienne Charlotte Ackermann.