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projetée ne se fera pas encore cette année. Leur enthousiasme finit par vaincre mon scepticisme et, le cœur ému d’un espoir que je commence à partager, je bois avec nos amis aux victoires de notre lointaine et chère patrie.


Pour nous rendre au vieux ksar, nous traversons le nouvel El-Goléa, le village nègre, dont la mystérieuse population a tant intrigué les voyageurs. D’où viennent-ils ces noirs, ces haratinn serviteurs des Châambas, qui prennent soin des jardins, tandis que leurs maîtres mènent la vie nomade sur les plateaux au milieu de leurs troupeaux innombrables ? Leurs ancêtres ont-ils été capturés dans le Blad-es-Soudân, qui fournit d’esclaves le monde musulman depuis tant de siècles ? Ne sont-ils pas plutôt les restes de la primitive population dont l’origine se perd dans les lointains des âges ? Leur regard indéfinissable laisse l’imagination errer à l’aventure.

Le vieil El-Goléa, perché au sommet d’un roc solitaire, est le type le plus caractérisé que je connaisse des ksours sahariens. Les Arabes appellent de ce nom les villages fortifiés, situés généralement sur une hauteur d’un abord difficile, où les nomades mettent à l’abri en temps de guerre les récoltes de l’oasis qui s’étend au pied de la colline. Tout dans ces villages a été disposé en vue de la défense. Ils restent comme les témoins d’une époque de troubles et de pillages incessans. Les maisons extérieures ont leurs murs réunis les uns aux autres de manière à former une enceinte continue, percée de quelques meurtrières ; de là on commande le chemin qui serpente en lacets depuis la vallée et qu’une colonne aurait bien du mal à gravir sous le feu des assiégés.

À cette saison de l’année, le ksar est abandonné ; les Châambas campent au désert sous leurs tentes en poils de chameaux. Il nous faut ouvrir nous-mêmes la porte de bois massif aux lourdes ferrures, et derrière les murs il n’y a qu’une ville morte, dont le calme et le silence nous saisissent. Nous parcourons quelques ruelles muettes, bordées de maisons basses, tombant pour la plupart en ruines et dont les rares fenêtres sont soigneusement closes. On se croirait dans une nécropole, dans des rues de tombes, et involontairement on baisse la voix, comme si l’on craignait de réveiller les habitans de cette ville de morts.

En redescendant, nous avons le spectacle du soleil qui se couche sur les Grandes Dunes ; à mesure qu’il s’abaisse, les sables