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si longues étapes et n’aimant pas à marcher la nuit dans ce pays qu’il connaît mal. Mais je suis inflexible ; nous devons camper à El-Khoua et nous y camperons, dussions-nous chercher une partie de la nuit.

On repart. La nuit est tout à fait tombée. Des hauteurs où nous sommes, nous voyons les sables s’étaler jusqu’à l’horizon, tout blancs sous la lune. Il faut les traverser pour gagner de nouveau le sol dur où sont les deux puits.

Malheureusement les chameaux ont peur de la nuit. Le sol croulant sous leurs pieds les effraye et voilà qu’à la descente un d’entre eux s’emporte, jette bas son chargement et se sauve. Les deux suivans, entraînés par l’exemple, font de même ; les autres s’arrêtent, le nez en l’air, hésitans. Un instant, j’ai la crainte de voir s’emporter la chamelle qui porte le bassour. Mais il n’en est rien et l’incident se borne à la perte d’une heure pour la recherche des fugitifs et la réinstallation des charges.

Bou-Djema est visiblement inquiet ; dressé sur sa bête, il fouille l’horizon ou bien il descend et examine le sol. Enfin deux taches blanches éclatent au loin. Ce sont les deux puits d’El-Khoua, que nous atteignons épuisés après douze heures de marche au pas dur des chameaux.

C’est là que nous campons, dans le grand silence et la paix profonde de cette nuit de lune.


21 Octobre.

Deux bergers, de ces bergers qui s’enfoncent pour des mois au loin dans les solitudes, sont, au réveil, assis devant notre tente. On n’aime guère les rencontres dans le désert, et ces gens-là ont bien mauvaise mine avec leur teint terreux, leurs yeux brûlés de fièvre, leurs burnous en guenilles. Mais l’humilité de leur accueil nous désarme. Ce sont vraiment des bergers et leurs chameaux se découvrent, paissant au loin, taches brunes sur la terre jaune.

Les nouvelles se propagent vite au Sahara. Ces hommes, perdus dans les plaines sans limites, savent que l’expédition projetée pour le Touât est en marche et que les troupes d’avant-garde sont à Ghardaïa. Enfin la France se décide donc à châtier les forbans qui, dans ces dernières années, ont massacré tant de ses enfans : Fournaux-Duperré, Flatters, Palat, Camille Douls seront vengés. Un frisson de fierté nous passe dans l’âme, et de bon cœur