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rien ; puis des formes s’estompent confusément, comme entrevues derrière un voile de gaze ; et, peu à peu, des teintes légères se détachent çà et là en lueurs phosphorescentes sur le fond uniformément velouté d’obscurité. Ce sont des objets suspendus aux murs, des ex-voto, les pieuses offrandes des caravanes errantes, des étoffes d’autrefois qui ont appartenu au saint, tout un amoncellement de choses très antiques, et qui ont des nuances étranges d’extrême vieillesse, roses fanés, verts éteints, bleus exténués, des tons de couleurs trop anciennes, qui se sont usées dans la nuit de ce tombeau et qui vont mourir.

Quel charme exquis et reposant ont, dans ce pays aux lignes nettes et cassées, aux colorations criardes, noyé de lumière crue, ces formes mollement dessinées et ces teintes doucement pâlies, toutes baignées d’ombre transparente ! Depuis combien de siècles repose-t-il ici, ce saint homme qui était aussi un poète et qui a voulu dormir son éternité sous ces pierres, dans la société des petits lézards couleur de muraille, au bord de ce chemin désert, en face des immensités vides ? Je voudrais savoir son nom ; mais mes hommes l’ignorent. « Oh ! il y a bien longtemps, bien longtemps qu’il est mort. C’était un grand marabout qui a fait beaucoup de miracles. Qu’Allah ait son âme ! » Oh oui ! qu’elle repose en paix, cette âme de jadis, sympathique à la mienne !

Il faut partir. Je viens contempler une dernière fois ce tombeau que je ne reverrai plus. Je veux m’emplir l’âme de la fraîcheur et de la sérénité silencieuse de ses voûtes. Volontiers, j’emporterais même quelqu’une de ces pieuses reliques, un morceau de ces étoffes décolorées, si je n’étais arrêté par une crainte singulière de profanation et de sacrilège. Et je suis la caravane, me retournant jusqu’au détour du vallon, pour voir encore cette koubba, qui est endormie là, bâtie de poussière, et qui retourne lentement à la poussière.


Au soleil brûlant de 3 heures, une large dépression se creuse brusquement devant nous ; des pentes rocheuses, coupées net, dévalent vers un fond plat, parsemé de monticules de sable ; et, au milieu, autour d’une petite maison, un bois de palmiers, une gracieuse apparition verte, la première depuis El-Goléa. C’est la vallée de l’Oued-Sebseb, un fleuve mort des temps passés. Les caravanes y font halte ordinairement ; mais, pressés comme nous sommes, nous ne nous y arrêterons point.