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homme d’État, si épris fût-il de colonisation, n’aurait, il y a trente ou quarante ans, conçu un tel rêve ; la réalité a dépassé ce que l’imagination aurait pu concevoir. Mais cela même n’est pas exceptionnel ; c’est l’histoire normale de la colonisation. Tous les grands empires coloniaux, celui de l’Espagne, celui du Portugal, celui de l’Angleterre même, ont été fondés, non par l’action réfléchie et systématique des gouvernemens, mais par l’audace d’une ou deux générations d’aventuriers privés ou de soldats excédant leurs ordres. Si ce sont, toutefois, des particuliers hardis, des « individualités sans mandat » ou dépassant leur mandat, qui fondent les colonies, le gouvernement seul peut les conserver et leur assurer les conditions générales de développement. Cet empire français africain, qui s’est ainsi constitué en dehors ou au-delà de toute conception gouvernementale, comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour le consolider, lui garantir la durée, et en rendre l’exploitation possible ? Il ne suffit pas qu’il l’ait fait reconnaître par la diplomatie.


I

Si notre nouvel empire africain constitue une unité cartographique, la soudure s’étant effectuée entre l’ouest et l’est par la convention de 1890 et entre le sud et le nord par celle de 1899, il s’en faut, cependant, du tout au tout qu’il forme une unité réelle. Pour qui jette les yeux sur une carte, nos possessions, — ou plutôt les attributions qui nous sont reconnues sur le continent africain, — se composent de trois vastes tronçons, qui n’ont jusqu’ici aucun lien entre eux. Le premier de ces tronçons, le moins étendu, mais le plus important politiquement, est celui du nord, qui est formé par l’Algérie et la Tunisie. Le second est celui de l’ouest, que constituent notre vieille possession du Sénégal et ses récens prolongemens du Soudan, de la Côte d’Ivoire, du Dahomey, tout ce que nous détenons dans la Boucle du Niger et au delà de ce fleuve, jusqu’au lac Tchad. Le troisième tronçon enfin, le plus lointain, le moins exploré et, dans plusieurs de ses parties importantes, le moins possédé, consiste dans le Congo, et ses prolongemens septentrionaux, sur le Chari, l’Oubanghi, le sud et l’est du lac Tchad. Une grande partie de cette même région, dans les limites reconnues par la convention de 1899, ne constitue jusqu’ici pour nous que des possessions nominales.