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laissent conduire par leurs passions ou par leur intérêt. Quand, le 31 mars 1792, Lauzun écrivait à Dumouriez pour lui signaler le danger de donner le rôle prépondérant à l’armée du Centre, surtout à son chef Lafayette « le moins expérimenté de nos généraux, » il s’écriait avec toute l’apparence de la plus vertueuse indignation : « En vérité, mon ami, c’est ce que faisaient autrefois les maîtresses du Roi pour les favoris devenus généraux... et il est impossible que de telles mesures paraissent dictées par le seul amour de la chose publique, » Mais quand il s’agit de lui-même, toutes les manœuvres deviennent légitimes, les intrigues n’ont plus qu’un but : le service et le salut de la patrie.

A part cette fatuité extrême, Lauzun semblait encore être un de ces hommes funestes qui portent malheur à tout ce qu’ils entreprennent. Les folies de son existence scandaleusement dissipée avaient porté le dernier coup au prestige de la royauté, et voilà que son ingérence dans le nouveau régime compromettait de la façon la plus grave les débuts militaires de la Révolution. Il eût dû comprendre que son rôle était terminé ; qu’irrémédiablement destiné à être « romanesque, il n’avait rien de ce qu’il fallait pour être héroïque ; » que, membre gangrené d’une monarchie qui mourait pour l’avoir produit, il n’y avait pour lui d’autre parti que l’abstention, le silence, l’oubli. On sait qu’il ne se rendit jamais à cette évidence, et que, pour prendre place dans ce régime où sa présence était la plus étrange anomalie, il accepta les plus amers déboires.

Tant d’ambition, de duplicité ou de faiblesse devait cependant demeurer inutile. Le 1er janvier 1794, Fouquier-Tinville envoyait à l’échafaud, comme traître à sa patrie, cet homme qui avait déjà « renié son roi, son ordre, ses croyances. » C’est le pire châtiment de Lauzun que l’histoire soit tentée d’accepter sur son compte le jugement de Fouquier-Tinville.


ARTHUR DE GANNIERS.