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parce qu’il est le journal de la Cité, c’est-à-dire du grand monde des affaires, le second parce qu’il est l’organe du parti actuellement au pouvoir. Sans nous astreindre à une traduction juxtalinéaire, voici à peu près ce qu’ils disent. Le Times est convaincu que l’incident de Bergen, la visite faite par l’Empereur Guillaume à un de nos croiseurs, a produit une détestable impression à Saint-Pétersbourg. La Russie entend se réserver le monopole des infidélités à la double alliance ; elle ne les tolère pas de notre part ; elle est exclusive et jalouse dans les devoirs qu’elle nous impose avec son alliance : aussi M. Delcassé a-t-il dû franchir précipitamment toute l’Europe pour apporter à qui de droit des explications, ou peut-être des excuses. Le Standard pense de même. Il estime que les courtoisies échangées entre la France et l’Allemagne ont paru d’un goût désagréable aux conseillers du tzar. Ce qu’on appelle l’alliance franco-russe, dit-il, a été depuis quelque temps dans un état troublé. Il y a eu, à Paris, de grandes déceptions. Lorsque les admirateurs républicains de l’autocrate russe ont fait appel à l’impérial allié à propos de l’affaire de Fachoda, celui-ci a répondu qu’il n’avait pas la moindre velléité de se laisser impliquer dans une querelle relative à un marais africain, et la France a eu alors la sensation très nette que la double alliance ne profitait qu’à une des parties. Son désenchantement de ce côté l’a rendue plus souple d’un autre, et de là est venue l’esquisse d’un rapprochement entre la République et l’Allemagne. Mais cet accès d’indépendance a été mal vu par un allié exigeant, et l’explication la plus vraisemblable de son voyage est que M. Delcassé a voulu, par l’empressement de sa démarche, rentrer en grâce auprès du comte Mouravief.

Voilà comment on écrit l’histoire contemporaine sur les bords de la Tamise : avions-nous tort de dire qu’on y mettait de l’ironie ? L’ironie, toutefois, ne suffit pas à exprimer les sentimens qui bouillonnent dans l’âme britannique, et voici maintenant le côté sérieux des articles auxquels nous faisons allusion.

Que veut-on enfin, demande le Times ? S’agit-il d’une coalition des puissances continentales contre l’Angleterre ? Quelques personnes le pensent, par exemple les rédacteurs de la National Review, — qui ne parlent de rien moins que d’une nouvelle triple alliance dont le premier objet serait d’abattre l’orgueil britannique, et qui se romprait ensuite pour l’humiliation de la Russie. Mais le Times se déclare incrédule. Il y a peu d’apparence, à ses yeux, que M. Delcassé soit allé à Saint-Pétersbourg discuter des projets si mirifiques. On peut même douter, dit-il, que l’imagination de l’empereur d’Allemagne, quelque