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par vaux, sans que rochers ni marais l’arrêtent, sa perche de bambou passée sur l’épaule, fléchissant sous le poids des lourds paniers remplis qui pendent à chaque extrémité. Celui-là est destiné à disparaître un jour. Une meilleure organisation économique permettra de mieux utiliser son endurance et de le transformer de bête de somme en ouvrier intelligent. Pourtant il vit de si peu de chose qu’il subsistera longtemps ; mais les routes qu’il suit se modifieront : il apportera aux voies ferrées les denrées des districts qu’elles ne desservent pas immédiatement ; il sera leur auxiliaire, non leur adversaire, pourvu que leurs tarifs ne soient pas trop élevés.

En résumé, il y a tout lieu de penser, à notre sens, qu’une fois construits, les chemins de fer chinois aujourd’hui concédés ont devant eux de brillantes perspectives, et que le génie commercial des Enfants de Han, loin de négliger un instrument de transport aussi perfectionné, s’en servira avec ardeur. Mais il faut d’abord les construire, et c’est la question de leur établissement beaucoup plus que les résultats de leur exploitation qui peut faire légitimement concevoir quelques craintes.

Nous avons dit quelle importance avait en Chine l’existence d’un précédent, et quelle était l’opinion favorable d’un des hommes qui connaissent le mieux ce pays au sujet de la construction des chemins de fer, aujourd’hui qu’il s’y en trouve déjà un. Néanmoins la mauvaise influence des mandarins locaux a déjà tant de fois rendu impossible ou tout au moins retardé de beaucoup la mise à exécution de réformes concédées par le pouvoir central, les excitations des lettrés ont si souvent réuni et soulevé le peuple contre les nouveautés introduites par les « diables étrangers, » que l’on n’est pas sans quelque inquiétude au sujet de l’accueil qui sera fait au chemin de fer en ce pays de superstitions géomantiques. A un point de vue plus pratique et qui touchera fort les Chinois, aussi réalistes que superstitieux, les chemins de fer amèneront une grande perturbation dans la vie économique des districts qu’ils desserviront. Bienfaisans en somme, et bienfaisans même dès le début, n’enlèveront-ils pas leur gagne-pain à nombre de pauvres diables qui vivent du rude métier de porteur ? Même dans l’Europe occidentale, l’introduction des machines puissantes de la grande industrie a amené une très forte commotion, et l’Europe occidentale y était pourtant beaucoup plus préparée, elle s’était déjà beaucoup plus dégagée de l’emploi universel