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Les velléités d’énergie de M. Salmeron avaient suffi pour jeter dans les rangs des cantonalistes le désarroi ; l’arrivée de Castelar aux affaires, précédé de son programme, fit le reste. De tous côtés, le parti de l’anarchie, avec ses fusils, ses loques rouges et ses formules creuses, rentrait dans l’ombre. Ceux-là seulement qui étaient résolus à toutes les aventures se réfugiaient dans le port de Carthagène, devenu le lieu d’asile de la république fédérale. Là, — derrière la ceinture des forts qui défendent les approches de la vieille cité d’Asdrubal, — le cantonalisme s’apprêtait à jouer une partie suprême, utilisant les incomparables ressources que cette grande place de guerre, sa rade immense, ses arsenaux, sa flotte de cuirassés et sa population ouvrière lui offraient. En sorte que, le 20 septembre, quand Pavia frappait son dernier coup à Malaga, et que, de toutes ces Communes révolutionnaires plus ou moins calquées sur la nôtre, il n’en restait plus qu’une, celle de Carthagène, la lutte, en vérité, changeait de nature ; le mal, localisé, était plus formidable ; une autre guerre civile, d’un genre inusité, se préparait, — guerre monstrueuse ! Les cantonalistes, s’adjoignant les forçats, s’étaient transformés en pirates, et ces bandits, montés sur les vaisseaux de l’Etat, mettaient le littoral en coupe réglée, opérant des razzias, pillant les populations sans défense, bombardant, pour les mieux rançonner, les villes ouvertes. Le premier port militaire de l’Espagne n’était plus qu’un repaire de forbans.

Ce ramassis d’aventuriers régnait à Carthagène depuis deux grands mois, lorsque Castelar prit en main le pouvoir. Tandis qu’il travaillait à refaire une armée, il s’empressait aussi de refaire une flotte pouvant bloquer le port et protéger les côtes. Pour cet objet il fallait avant tout rentrer en possession des vaisseaux de guerre que les Anglais avaient confisqués. Deux bâtimens, la Victoria et l’Almansa, sortis de Carthagène avec Contreras pour lever tribut sur les villes d’Almeria et de Malaga, avaient été capturés, le 1er août, par un croiseur allemand, assisté de l’escadre britannique. Depuis lors, l’Angleterre s’accommodait de les garder. Les choses en étaient là quand, le 20 septembre, la flotte cantonaliste parut devant Alicante. Les insurgés, en humeur de conquête, signifièrent à la municipalité que si, dans le délai de quatre jours, la ville n’avait pas reconnu le gouvernement du « canton murcien, » elle serait bombardée. Ils tinrent parole, et ouvrirent le feu sur la malheureuse cité. Mais elle se défendit, appuyée par