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pour ces forcenés, incapables de le comprendre, et qui s’empressèrent de voter contre lui. Cent vingt voix contre cent repoussèrent la motion de confiance. Castelar donna immédiatement sa démission et celle des ministres. Il n’y avait plus de gouvernement, et bientôt même il n’allait plus y avoir de république : elle recevait de ses prétendus défenseurs le coup de grâce.

Pendant ce temps, Pavia veillait et agissait. Au quartier général, où il se tenait, prêt à partir, des affidés se succédaient, lui apportant de minute en minute des nouvelles du drame dont l’assemblée était le théâtre. Lorsque l’heure décisive lui parut approcher, il se mit en marche dans la direction des Cortès. Le général avançait par les rues désertes, suivi d’une troupe d’élite, à la faveur des ténèbres et de la brume d’une nuit d’hiver, dans la solitude muette de Madrid endormi. Arrivé devant les marches du palais législatif, il s’embusqua avec ses hommes dans le square faisant face au monument ; et là, enveloppé d’ombre, il attendit. Dès qu’il connut le vote, il comprit que l’heure avait sonné et envoya deux aides de camp pour inviter M. Salmeron à lever la séance dans les cinq minutes. L’assemblée, à ce moment, offrait l’image d’un chaos. Une inexprimable confusion régnait dans la salle et donnait aux »«Cortès souveraines de la nation » l’aspect d’un club révolutionnaire. On procédait tumultueusement à l’élection du successeur de Castelar, qui paraissait devoir être un obscur député de Valence, nommé Palanca.

Alors on vit se produire un revirement soudain, et bien humain, dans cette majorité brusquement dégrisée par l’imminence du péril. Au moment où les soldats envahissaient le palais, elle se tourna éperdument vers l’homme qu’elle venait de renverser ; elle l’adjurait de reprendre le pouvoir, et votait par acclamation cette motion de confiance qu’elle venait de repousser. Mais il était trop tard ! Déjà la troupe se dirigeait vers la salle des séances. Dans cette minute suprême, M. Salmeron et les députés songèrent à mourir avec dignité ; le président engagea ses collègues à regagner leurs places et posa, paraît-il, cette étonnante question : « Nous laisserons-nous tuer à nos bancs ? — Oui, oui ! » cria-t-on de toutes parts. Au même instant, les uniformes apparurent, et l’on entendit des coups de feu. Ce fut une panique ! On vit ces mêmes députés, qui revendiquaient l’honneur de périr massacrés sur leurs chaises curules, s’enfuir à toutes jambes et par toutes les issues. Il était sept heures du matin. Quand la capitale