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ligne de conduite, mes principes m’imposent la politique suivante : séparation absolue d’avec tous les partis réactionnaires, séparation absolue d’avec tous les partis démagogiques ; aspiration vers une démocratie libérale (le régime dictatorial lui interdisait d’écrire le mot : République) protégée et défendue par un gouvernement fort qui, empruntant sa force aux lois, les fasse exécuter et obéir avec la même régularité que les lois qui régissent le monde physique... » Il conseillait à ceux de ses amis qui iraient aux Cortès « de ne combattre, de n’entraver aucune mesure conduisant à ces fins générales : la conclusion de la guerre civile, l’intégrité de la patrie, l’allégement du Trésor, l’équilibre du budget, le paiement de la dette, car la patrie n’appartient pas à un parti, à une dynastie, à un gouvernement ; la patrie, comme l’air et la lumière, nous appartient à tous... » Castelar concluait par ces nobles paroles d’espoir et de confiance où reparaissait la foi de sa jeunesse, de sa vie entière, dans la toute-puissance des idées : « Ne craignez pas la défaite partielle qui nous attend. L’histoire de l’humanité est un conflit perpétuel entre les intérêts réactionnaires et les idées progressives. Les victoires partielles sont toutes pour les intérêts ; mais les victoires décisives sont toutes pour les idées...[1] »

Or, l’idée dominante de ce programme, ce qui en était la base, la condition, et qui en faisait aussi l’originalité, c’était ce respect absolu de la loi, ce culte religieux de la légalité, — grande nouveauté en Espagne ! La légalité ? Qui donc s’en souciait ? Etaient-ce les monarchistes ? Depuis le retour d’Alphonse XII, ils avaient essayé toutes les formes de l’arbitraire et méritaient que Castelar leur dît, du haut de la tribune : « La politique de ce gouvernement est une politique anti-légale. Vous perpétuez une dictature que vous vous êtes conférée à vous-mêmes ; car votre pouvoir est sorti non des Cortès, mais des casernes...[2] » Etaient-ce les républicains ? On a vu ce que les trois quarts d’entre eux avaient su faire de leur république ; et, sous la monarchie, que faisaient-ils ? Les uns, dirigés par Ruiz Zorilla, ourdissaient de vains complots ; les autres, avec M. Pi y Margall, se recueillaient dans l’attente de la révolution future ; tous, ou à peu près tous, impénitens et incorrigibles, espéraient d’un hasard ou d’un coup de violence le salut. Quel contraste avec les républicains français,

  1. J’emprunte les extraits de cette circulaire à la traduction que j’en avais donnée dans le Journal des Débats du 14 janvier 1870.
  2. Discours sur la dictature, séance du 15 juillet 1876.