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Le journalisme, voilà, j’y insiste, le cadre ou le moule dans lequel il jetait de préférence les impressions que son âme exaltée recevait des beaux paysages, des chefs-d’œuvre de l’art, des découvertes de la science, des événemens politiques, enfin du décor changeant de la vie humaine.

D’où vient cela ? De sa nature d’abord, de son tour d’esprit, de l’ensemble de ses qualités et de ses défauts même. « J’aime un peu mes défauts, » me disait-il un jour avec son fin sourire, faisant allusion à son étonnante faculté d’improvisation et d’amplification, à ses éblouissantes métaphores, aux envolées de son lyrisme ; et qui sait ? il avait raison peut-être d’aimer ces défauts rares, qui le servaient autant sinon plus que des qualités !

Mais il y avait aussi une autre cause, adventice, et cette cause était trop honorable pour que je ne tienne pas à la rappeler. Castelar était né pauvre, et il avait été, dès son adolescence, un de ces courageux jeunes hommes à qui la vie impose de grands et de sévères devoirs. Il devait assurer le sort d’une mère, d’une sœur, de cousins dont la famille l’avait recueilli tout enfant, et auxquels il rendait le bienfait qu’il avait reçu. Et, comme il débuta dans la politique par un coup d’éclat, il se trouva conquis, asservi de bonne heure au labeur attrayant et dévorant de la presse quotidienne et des « correspondances » qu’il adressait aux Revues, aux journaux d’Amérique. Un de ses amis, celui peut-être qui l’a suivi de plus près dans sa vie de chaque jour, M. Adolfo Calzado, son ancien lieutenant aux Cortès, me disait avec quelle entente Don Emilio, aussi prodigue en apparence de ses écrits que de sa parole, aménageait son incessante production littéraire en vue de suffire à tous les articles qu’il envoyait aux quatre coins du monde. Castelar m’écrivait (en 1880) : « J’ai reçu, il y a quelques jours, des demandes pour collaborer à des Revues de New-York, de la Californie, et — soyez surpris — de Melbourne. » C’était pour ces Revues lointaines qu’il écrivait ces pages où le monde extérieur et surtout celui de sa pensée se reflétaient comme en des eaux courantes, rapides et limpides. À ces travaux joignez les obligations de l’enseignement public (car il était redevenu, sous la Restauration, professeur, catedratico de l’Université) ; ajoutez enfin les luttes électorales et parlementaires, les traverses sans nombre d’un chef politique, l’inévitable dispersion d’esprit d’un homme célèbre qui vit de la vie mondaine, fêté partout où il passait, et vous pouvez comprendre comment Castelar,