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en Gall, dans une petite ferme appartenant à l’oncle maternel de Ponsard. C’est en partie dans le terrain de cette ferme qu’étaient enfouies les ruines de cet extraordinaire palais des Miroirs, d’où provient, entre autres choses, l’admirable Vénus accroupie du musée du Louvre.


II

On comprendra sans peine que, dans un tel entourage, François Ponsard, éloigné des distractions d’une grande ville, et à peu près sans nouvelles du mouvement littéraire de Paris, se soit trouvé presque fatalement entraîné vers l’étude de l’antiquité. Durant les longues soirées d’hiver, il lisait et relisait les historiens romains. De temps en temps il remontait le Rhône jusqu’à Lyon, d’où il ne manquait jamais de rapporter, avec des ouvrages de droit, quantité de livres latins et grecs. Je vois encore un Tite-Live acheté à cette époque, énorme in-folio qui devait servir, plus tard, à rehausser ma chaise d’enfant, mais qui, alors, était ouvert en permanence sur la table de mon père.

Et non seulement cette fréquentation incessante de l’antiquité lui inspirait le désir d’une exacte restitution artistique des vieilles mœurs romaines ; non seulement elle le préparait à mettre dans son œuvre une couleur plus juste que celle dont les poètes du romantisme revêtaient leurs peintures des âges passés ; elle lui suggérait encore, peu à peu, le goût d’une forme plus simple, plus humaine. Virgile et Tite-Live, sans lui rien ôter de son admiration pour Victor Hugo, lui apprenaient qu’on peut être éloquent à moins de frais et poétique avec moins de bruit ; et puis, de ces auteurs latins sa curiosité se transportait, par une pente naturelle, vers leurs successeurs du XVIIe siècle. La vigueur de Corneille, la tendresse de Racine, le clair génie de Molière surprenaient maintenant le jeune avocat comme si, pour la première fois, il lisait ces grands écrivains. Ils lui apprenaient que la recherche de la pureté et du naturel était plus désirable que la recherche de l’effet, en même temps qu’ils le mettaient en méfiance contre lui-même, en lui faisant sentir la difficulté de toute entreprise vraiment littéraire. Longtemps, en effet, mon père s’interrompit d’écrire. A peine si, après son églogue, il fit paraître dans la Revue de Vienne deux courts poèmes et une étude, également très courte, sur Corneille, Racine et Shakespeare. Des deux poèmes,