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lentement accessibles aux évolutions du progrès, mais rebelles aux coups de théâtre de la vie économique, c’est dans la terre d’Otrante qu’il faut descendre : la civilisation unitaire, avec ses prétentions un peu tapageuses, n’a point encore eu le temps d’y pénétrer, ni même d’y étendre son vernis.

Il y a peu de villes d’Italie qui donnent l’impression de l’achèvement, qui paraissent complètes, satisfaites d’elles-mêmes ; la plupart ont l’air d’être en construction ou en destruction : témoin Rome, à qui ses nouveaux quartiers composent une enceinte de plâtras ; témoin Turin, que surplombent, sur l’une des rives du Pô, la carcasse d’une tour ambitieuse, et, sur l’autre rive, un squelette d’église s’effritant. Lecce, qui commande les abords de la terre d’Otrante, est une petite ville coquette et fière, heureuse telle qu’elle est, complaisante à jouir d’elle-même. On l’appelle la Florence du sud, l’Athènes des Pouilles, et ces périphrases ne lui déplaisent ni ne lui disconviennent ; elle sait faire valoir l’homogénéité de son architecture, la bonne tenue de sa voirie, les charmes communicatifs de son hospitalité. Les beaux-arts y sont assez en honneur pour qu’on se pique d’introduire le goût esthétique dans les plus humbles œuvres de la technique industrielle ; on y travaille le carton-pâte avec une jolie délicatesse ; beaucoup d’églises lointaines, même étrangères, demandent à ce coin de la Pouille les statues de leurs saints ; et les artistes locaux qui peuplent ainsi le paradis sont à Lecce considérés comme des notables, et méritent de l’être. Lecce a ses érudits, aussi ; et ce qui la distingue, c’est qu’elle les conserve et les fait servir à son illustration. Si certaines localités des Pouilles, comme Molfetta, semblent être de vraies pépinières de professeurs, il advient en général qu’ils s’exportent dans les diverses universités du royaume, oublient la Pouille pour n’y plus revenir, ou bien n’y reviennent que pour flâner. Lecce, loin d’inspirer ces infidélités, fait à l’érudition locale une place dans sa vie ; lorsqu’elle charge ses savans de colliger ses vieux souvenirs, de donner à ses rues toute une série de noms historiques en attendant qu’ils leur donnent les leurs, elle se confie elle-même, presque à titre de patrimoine, à leurs mains poussiéreuses et dévouées ; elle les aime et ils l’aiment ; et l’un d’eux, M. le professeur Cosimo de Giorgi, a dédié à sa ville et à sa province des monographies excellentes, comme on en souhaiterait, mais en vain, pour beaucoup de points de la Pouille. Il y a des bourgs, des peuples même, qui fabriquent