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nouvelle est sortie du sol, jalouse de s’élargir, de s’aérer et de s’enrichir ; elle prétend être, tout à son aise, une grande place d’industrie et de commerce.

On constate, au début de tout développement industriel, une période d’exaltation, où sévit l’ivresse du travail producteur : l’être humain, durant cette phase d’illusions, se sent tout fier d’être un créateur de richesse ; cet orgueil le fait passer outre à la dureté des fatigues quotidiennes ; il veut produire et encore produire ; l’institution du repos dominical lui paraît une insulte à son activité désireuse de s’épancher ; et il s’avance, plein de fougue, vers une période de résipiscence durant laquelle, lassé de sa propre ardeur et déçu par les résultats, il réclame la limitation de la production, la diminution des heures de travail, le chômage hebdomadaire. La province de Bari n’est point encore sortie de la première période : les progrès industriels y sont rapides, allègres et variés. L’extraction de l’huile des grignons à l’aide du sulfure de carbone est à Bari l’une des industries les plus florissantes ; c’est à des initiatives françaises qu’elle est due. Travail de la laque, fabrication de boites en bois pour échantillons, fabrication d’appareils de gymnastique, sont d’importation récente dans cette ville ; et ces importations réussissent. L’industrie des cotonnades imprimées, après avoir appartenu, tour à tour, à des maisons anglaises et allemandes, est pratiquée, aujourd’hui, par les ouvriers de Bari, qu’ont formés quelques techniciens venus de la Lombardie. Enfin, chaque année, du grand établissement Murari, s’essaiment à travers la péninsule 650 000 jeux de cartes : rois de la Bible et valets de l’Iliade, paysans de romans et bourgeois de comédies, notables de tout rang et de tout acabit, dont l’imagination populaire a décoré les cartes à jouer, ont leurs silhouettes chez M. Murari, qui fabrique, concurremment, les innombrables types de jeux demeurés à la mode dans les diverses provinces d’Italie. Barletta, Trani, Bisceglie, Molfetta, échelonnant tout le long de la mer, sous les affronts du soleil, la blancheur crue de leurs murailles, s’efforcent d’être les émules de Bari. Elève de la Lombardie, cette province, tôt ou tard, lorsqu’elle comptera plus d’étrangers que d’indigènes, sera pour le midi ce que l’agglomération milanaise est pour le nord.

Entre la province de Bari, qui, sous la pression continue de l’Italie septentrionale, a fini par s’abandonner aux innovations, et la province de Lecce, qui, sans s’y montrer systématiquement rebelle,