Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Etat est propriétaire. « C’est une honte pour l’Etat, déclarait en 1891 M. Maury, député de Foggia, de conserver le marais du Salpi. En fait, c’est une propriété du domaine ; et tandis que, partout alentour, à dix ou vingt kilomètres de distance, l’initiative privée a assaini d’autres marais et transformé les terres en un vrai jardin en les couvrant de riches cultures de vignobles et d’oliviers, il est bien douloureux de constater que le seul possesseur qui n’ait rien fait ni pour son intérêt ni pour l’intérêt général est l’Etat. » Les Bourbons avaient commencé d’agir, à l’instigation du publiciste Afan de Rivera, l’un des bienfaiteurs de la Pouille ; mais lorsque la mort eut assourdi le bruit de ses écrits et que le Risorgimento eut fait émigrer les esprits vers des préoccupations nouvelles, les marais du Salpi s’étendirent avec une telle impunité, que l’on dut, à trois reprises, reconstruire la route de Cerignole à Manfredonia, abîmée par ces incursions paludéennes. Un syndicat de dix propriétaires, à partir de 1876, inaugura des améliorations partielles, qui furent efficaces ; les pouvoirs publics, successivement représentés par les divers ministres qui promenèrent en Pouille leurs attitudes de bienveillance, promirent une amélioration d’ensemble, qui ne vint jamais. A l’autre extrémité du littoral, aux alentours d’Otrante, la vallée de l’Idro est un foyer de miasmes, où périclite la richesse publique non moins que la santé publique ; les deux petits lacs Limini, faute d’entretien, se dépeuplent misérablement et ne fournissent plus à l’Etat qu’une pêche annuelle de 4 000 francs. Mais l’Etat paraît être sourd et lentement les sources de prospérité dont abonde ce littoral vont une à une se tarissant. Il y a sur la côte de Capitanate, près du petit village qui porte le nom protecteur de Margherita di Savoia, des salines qui rapportent au fisc un revenu net de 11 millions ; les pauvres travailleurs agonisent de fièvre et de misère dans des appentis qui rappellent les tukuls abyssins ; et dans ces dernières années, un ministre s’est rencontré pour leur supprimer, sous prétexte d’économie, le modique privilège qu’ils possédaient de recevoir gratuitement chaque année quelques kilos de sel... Il n’y a pas de petites économies, même aux dépens des grandes détresses. « O heureux pays ! écrivait en 1897 un député de la terre d’Otrante, M. de Cesare. Heureux pays où tout cela peut arriver, où trente-sept ans de vie nouvelle n’ont pas laissé la marque d’une civilisation durable, et où un ministre du royaume d’Italie peut encore être accueilli avec le plus chaud