industriels. Les Etats-Unis, le pays des Trusts et des milliardaires, le pays qui, d’après la théorie de Marx, devrait nous offrir ce spectacle de quelques douzaines de Vanderbilt, de Gould et d’Astor entourés d’un monde croissant d’affamés, — est au contraire le pays où les classes moyennes et les classes ouvrières ne cessent de s’élever le plus rapidement. Il en est de même en Angleterre. L’un des protagonistes de la socialdémocratie allemande, le docteur Schœnlank[1], citant les statistiques officielles de l’impôt sur le revenu des grandes villes d’Allemagne, reconnaît qu’une petite bourgeoisie tend à émerger du sein des classes ouvrières, et il conclut : « La démocratie socialiste n’est pas le produit de la misère et du désespoir. Elle est le résultat de la conscience que possède de sa force une classe qui s’élève, et de là vient sa puissance. Les révolutions tentées par des classes en décadence ne peuvent aboutir. » Le socialisme, en effet, est la manifestation éclatante de l’amélioration du sort des classes ouvrières : le désir de bien-être, de culture croît à mesure qu’il reçoit satisfaction. Le capital, ce « vampire qui suce le sang des ouvriers », leur infuse, en réalité, un sang nouveau, une vie nouvelle.
Si l’évolution que Marx a assignée au régime capitaliste est loin d’être démontrée, la théorie de son autodestruction par les crises périodiques, devant aboutir au krach définitif, l’est encore moins. L’organisation des Trusts, ce phénomène économique si nouveau qui marquerait, selon quelques-uns, l’acheminement vers le collectivisme, prouve, en attendant, que la bourgeoisie n’est nullement incapable de limiter la concurrence, de mettre fin à l’anarchie de la production : par les Trusts, elle la règle et l’organise. L’extension des marchés, l’élasticité du crédit, l’augmentation énorme du capital, le perfectionnement des moyens de communication, démontrent qu’il n’y a pas de grande crise à redouter, et écartent l’idée d’un bouleversement social. La prétendue contradiction entre la production et la consommation, qui devait nécessairement conduire à une crise gigantesque, n’est, d’après M. Bernstein, que le produit suranné de la dialectique hégélienne : la philosophie de Hegel exige que tout se développe en contrastes et en contraires qui se suppriment et s’égalisent dans une unité supérieure.
Ce qu’on nous donne aujourd’hui comme signes des temps, les
- ↑ Leipziger Volkszeitung du 5 novembre 1896.