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seulement nous nous ménageons la chance de contenir et d’occuper par elles l’Autriche, mais nous travaillons à changer l’orientation extérieure et la vie intérieure de cette puissance. Dans les aspirations slaves est un principe de ruine pour la triple alliance et de renouvellement ou de mort pour l’Autriche. Depuis 1867, 8 millions d’Allemands et 7 millions de Hongrois se partagent l’empire sur 24 millions de Slaves autrichiens. Depuis quelques années, Tchèques, Slovènes, Croates et Dalmates de la monarchie commencent à se demander pourquoi deux races seules, et les moins nombreuses, sont maîtresses dans l’État, et par quelle infériorité de nature les Slaves seraient les serviteurs-nés des Allemands et des Hongrois. L’ordre qui garde ce désordre, la patience de la majorité, la paix de la rue sont à la merci d’un incident. Les sympathies accordées par la France aux Serbes et aux Bulgares ne sauraient accroître la confiance de ceux-ci dans leur avenir sans que les Slaves d’Autriche sentent plus douloureusement le joug, et le jour où les sujets de l’Autriche se jugeront moins libres que les anciens sujets du Turc, la fin du « dualisme » illogique sera proche. Si les Allemands et les Hongrois s’obstinent à le maintenir, c’est la rupture du lien fragile qui unit des couronnes bien nombreuses pour une seule tête : la Hongrie connaîtra l’isolement et la déchéance ; les Allemands subiront l’attraction de l’Allemagne, diminuée malgré cet accroissement parce qu’elle aura cessé de dominer par les Allemands les Slaves de l’Autriche ; et ceux-ci, cédant à la communauté de race et d’intérêts qui les mêlent aux peuples de la péninsule balkanique, formeront avec eux une puissance nouvelle et naturellement hostile à l’Allemagne. Si, menacée de n’être même plus « une expression géographique, » l’Autriche suit la logique de la pente où elle s’est engagée le jour où elle a émancipé la Hongrie, et passe du dualisme à la fédération, les Slaves, dans cette fédération, seront le nombre, auront par le nombre la primauté, prendront une revanche sur les influences germano-hongroises par lesquelles ils sont dominés aujourd’hui : l’Autriche alors, au lieu de se dissoudre au profit d’autres États Slaves, deviendrait elle-même l’avant-garde des Slaves contre l’ambition allemande. Dans toutes les hypothèses, l’axe de la politique serait changé, la triple alliance dissoute, et nous aurions pour auxiliaires une partie des forces qui nous menacent aujourd’hui.