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plaisir si inexprimable dans les chants de l’auteur d’Athalie, l’onction d’un cœur intimement pénétré. »

En citant ce morceau remarquable, daté de 1820, on dira peut-être que je ne tiens aucun compte de la chronologie de l’œuvre poétique de Charles Loyson ; mais pourquoi m’en embarrasserais-je quand lui-même a mis dans son second volume de vers les élégies qui figuraient dans le premier ? Entre ces deux volumes, parus à deux ans de distance, il n’y a d’ailleurs aucune différence au point de vue de la forme : c’est tout au plus si dans l’épître, qu’il affectionne et où il excelle, la pensée du poète s’est élevée de quelques degrés, de l’épître à Ducis à celles qu’il a dédiées à Royer-Collard, à Maine de Biran, à Victor Cousin. Toutes ses élégies doivent être du même temps ; en tout cas elles lui ont toutes été inspirées par la vue du pays natal, par ses souvenirs d’enfance et la pensée de la mort. Cette dernière pensée est même celle qui domine toute son œuvre. Évidemment Loyson avait le pressentiment de sa fin prochaine. Et c’est parce qu’il se sentait mortellement atteint qu’il avait hâte de dire tout ce qu’il avait dans la tête et dans le cœur, en vers et en prose, dans le journal comme dans le livre.

« Grande nouvelle, écrivait-il en 1818 à son ami Papin, j’ai eu une consultation de médecins assistés d’un très habile chirurgien. Le résultat de cette conférence, c’est que mon état est alarmant, qu’il est rare qu’à quarante ans un homme de cabinet soit aussi avancé que je le suis dans l’hypocondrie, et que si je ne me décide à faire régulièrement six heures d’exercice par jour moitié à pied, moitié à cheval, ajournant tout travail littéraire, j’irai toujours m’enfonçant dans ma langueur et que j’arriverai à un marasme affreux d’où rien ne pourra me tirer. Mes intestins sont presque aussi paresseux que vous ; s’ils le sont d’une manière aussi incurable, je me regarde comme un homme perdu sans ressource. » I) avait beau rire de son mal et en prendre stoïquement son parti, ses amis et ses proches n’avaient pas sa résignation et le pressaient d’écouter ses médecins et de se retirer à la campagne. Mais quoi ! six heures d’exercice par jour et ne plus toucher à une plume ! autant valait mourir tout de suite. Et comme son cerveau était sans cesse en ébullition, comme la lettre moulée l’attirait de plus en plus, il ne tint aucun compte des prescriptions des médecins.

En moins de trois ans, il publia à droite et à gauche, dans les