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talens de devineresses. Elles seraient capables de faire fortune parmi les civilisés, très friands, eux aussi, de connaître l’avenir, et peut-être plus naïfs et plus crédules qu’ils ne veulent en avoir l’air.

Tous ces Shans portent le coupe-coupe en sautoir et le grand chapeau de paille souple, très haut perché sur le turban. Ce chapeau, originaire de Chine, retombe mollement en trois grands plis et il est surmonté d’un large flot de soie floche rouge ou verte, quelquefois mêlée à des fils métalliques ou à de fines découpures de papier brillant.

Hommes et femmes, à mesure que j’avance dans le pays, portent davantage le paletot chinois de toile noire lustrée et matelassée. Dans le jour, les femmes ne gardent que l’écharpe barrant la poitrine, et souvent aussi elles marchent le buste découvert, comme les Laotiennes.

Un des caractères distinctifs les plus frappans chez ces peuples, c’est la fréquence des déplacemens souvent inutiles. Ainsi à Nam-Het, après une longue descente périlleuse dans un chaos de végétation, j’arrive dans une sorte de cirque, au centre duquel se dressent une petite toiture en paillotte et quelques abris de branches cueillies de la veille. C’était l’œuvre d’une caravane, une famille-tribu de quarante personnes, que le « Sawbwa » avait envoyée à je ne sais plus quelle ville prochaine pour chercher fortune, et qui, ne l’y ayant pas trouvée, refait en sens inverse un voyage de vingt ou trente jours avec ses soixante bœufs et tous ses buffalos. Ces déplacemens et ces déceptions sont de tous les jours, et paraissent à ces braves gens absolument naturels.

Et quelle vie, quel mouvement dans le camp, sous ces grands arbres aux fleurs écartâtes qui ressemblent à des tulipiers, à côté d’autres arbres couverts de fleurs très roses et plumeuses ! Quelques jeunes filles font la pêche aux crevettes dans le ravin voisin ; les femmes ont le buste nu, leur enfant sur la hanche ou sur le dos.

Le cérémonial du mariage est des plus simples chez les Shans. L’homme et la femme, devant le chef de village, nouent un cordon de coton autour de leurs poignets réunis et mangent ensemble une tasse de riz. Très réussis comme symbolisme ces liens du mariage en coton ! Les gens riches ont quelquefois deux ou trois femmes ; mais en général on n’en a qu’une ; d’autant mieux que le divorce est aussi aisé devant le chef du village que