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pleurésie qui va remporter. Connaître la cause d’un mal, ce n’est pas toujours le moyen d’arriver à la guérison ; c’en est du moins la condition. Or, ce même isolement dont est morte la littérature grecque, nous le voyons se produire sous nos yeux, et nous assistons à la même rupture entre l’écrivain et le public. Certes, depuis qu’il y a en France une littérature digne de ce nom, elle n’a jamais été populaire ; l’écrivain, chez nous, n’a jamais pu s’adresser qu’aux lecteurs préparés par une certaine culture. Mais, à l’époque classique, l’écrivain n’établit pas de catégories entre ces lecteurs ; il écrit pour tous les honnêtes gens, s’efforce d’être compris de tout le monde, et considère comme le plus beau triomphe du talent d’avoir recueilli approbation unanime. L’écrivain d’aujourd’hui commence par excommunier tous ceux qu’il juge indignes de le comprendre, et tire vanité de ne plaire qu’à un petit nombre. Au lieu de se plier aux préoccupations d’ordre général qui sont celles de tous les hommes, il ne fait état que de ceux qui partagent ses préoccupations d’art. Romancier, il ne traite que des sujets d’exception ; savant, il s’enferme dans son laboratoire ; et poète, il monte dans sa tour d’ivoire. C’est le contraire qu’il devrait faire. Sous peine que la littérature aille de plus en plus en s’anémiant jusqu’au jour où elle mourra par impossibilité de vivre, il faut la retremper à ses sources, la rattacher à la vie nationale, la faire rentrer dans le courant de l’activité commune. Et, parce que c’est déjà avoir fait quelque profit que d’appeler les choses par leur nom et de mettre les gens à leur rang, il n’est sans doute pas indifférent de renvoyer parmi les beaux esprits de décadence tels de nos écrivains d’aujourd’hui qui, dédaigneux de la foule, réservent les productions de leur talent à une élite, — comme disent ceux qui en font partie, — ou, — comme disent les autres, — à une coterie.


RENE DOUMIC.