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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/554

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enflammée à la ville sainte, la mention émue des prodiges dont elle fut témoin, une courte exhortation à préférer les biens éternels à ceux de la terre, voilà ce qui la remplit. Toutes ces idées sont exprimées avec une énergique brièveté ; elles ne sont ni développées, ni appuyées d’argumens d’aucune sorte, ce n’est pas là de la prédication : « On se prêchait les uns les autres de parole et d’exemple, » dit un contemporain.

Il n’en était plus de même déjà en 1147 : le grand saint Bernard lui-même, avec son éloquence enflammée et subtile, ne put renouveler le miracle réalisé jadis par un pauvre moine ignorant ; dès lors, le clergé dut, pour entraîner les princes et les peuples, multiplier les objurgations et les promesses. Les poètes se firent ses collaborateurs bénévoles. Nous avons, en dialecte d’oïl, une belle exhortation à la croisade[1], d’un style mâle et nerveux, mais où il y a pourtant, comme le remarque finement M. Lanson[2], « plus de raisonnement que de passion. » Il est étrange qu’on n’en trouve pas l’équivalent dans la poésie méridionale, plus mûre, plus développée que celle du Nord : une curieuse et touchante romance[3], où une jeune châtelaine se plaint que son ami l’ait quittée pour suivre outre mer le roi Louis, voilà le seul souvenir que la croisade de 1147 ait laissé chez les troubadours. Comment expliquer ce silence ? Par les nombreuses pertes qu’a faites, dans sa première période, la poésie provençale ? Peut-être. Il est certain aussi que la seconde croisade, quoique le comte de Toulouse y ait pris part, n’excita pas sur le versant français des Pyrénées un grand enthousiasme. C’est qu’il y avait un pays plus voisin où la valeur des chrétiens trouvait aussi une ample matière, où les barons méridionaux étaient poussés par bien des motifs, la proximité, l’espoir de fructueuses conquêtes, souvent aussi la crainte de l’envahisseur.

Vers 1137, la plupart des États de l’Europe méridionale tentèrent un vigoureux effort contre les Almohades d’Espagne, déjà menacés par les Almoravides du Maroc et, dans la Péninsule même, par les Arabes andalous : une vaste ligue, dont Alphonse de Castille était le chef, venait de se former entre les républiques italiennes, les barons français et les villes catalanes. Deux pièces d’un jongleur gascon, en même temps « soudoyer, » nommé

  1. Voyez le Recueil d’anciens textes de M. P. Meyer, no 39.
  2. Histoire de la littérature française, p. 81.
  3. A la fontana del vergier (dans Bartsch, Chrestomathie, p. 49).