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là, et remis en honneur l’asservissement du cœur à la volonté. — « L’amour d’un honnête homme, écrivait-il en 1634[1], doit être toujours volontaire : on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne puisse n’aimer pas ; si on en vient jusque-là, c’est une tyrannie dont il faut secouer le joug. » Mademoiselle de Montpensier a été l’une des plus vraiment cornéliennes de sa génération, car elle a pratiqué ce que d’autres se contentaient de professer. La tyrannie de l’amour lui paraissait chose honteuse, et elle était si convaincue qu’il dépend de chacun de « secouer le joug, » que les défaillances les plus honnêtes la trouvaient sans pitié ; elle chassa un jour une jeune femme de chambre, uniquement, — c’est Mademoiselle elle-même qui le dit, — « parce qu’elle s’était mariée par amour. » La honte grandissait avec la « condition » des esclaves de leur passion ; au-dessus d’un certain rang, il ne pouvait seulement pas être question de sentiment dans une affaire de mariage, et nous verrons notre princesse mettre sa conduite d’accord avec ses principes pendant toute sa jeunesse. Le jansénisme et Racine, qui désabusèrent tant d’âmes plus humbles, ou plus imbues de doctrine chrétienne, de l’efficacité « de la volonté toute seule contre les tentations de la chair et du cœur[2], » n’eurent pas de prise sur la Grande Mademoiselle ; il fallut Lauzun pour briser son orgueil.

Le dissentiment sur la liberté humaine est à peu près le seul grave qui se soit produit dans l’espace d’un demi-siècle entre d’Urfé et la société française. Dans les choses du goût, notamment, l’Astrée s’harmonisait avec le sentiment public, même lorsqu’elle le dépassait. Ainsi, elle est très en avance sur son époque par ses paysages, qui sont d’un écrivain aimant la nature et possédant une imagination capable de « surprendre l’âme des lieux, » selon l’expression de Montégut, qui avait été lire l’Astrée au bord du Lignon ; mais la nature que d’Urfé sentait et admirait était bien la même pour laquelle la France de Louis XIII avait des yeux, la nature arrangée, transformée par la main de l’homme en paysage artificiel, en colifichet compliqué où la verdure n’est plus que l’un des élémens du tableau, et pas toujours le principal. C’était une mode venue d’Italie, où la Renaissance avait inventé le jardin-bibelot, dont il subsiste là-bas d’amusans spécimens, conservés

  1. Dans la Dédicace de la Place Royale.
  2. M. Jules Lemaître. Discours prononcé à Port-Royal à l’occasion du centenaire de Racine.