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deux ou trois à la fois, la confusion lui déplaisant, et le bruit étant contraire à la divinité dont la voix n’est d’ordinaire éclatante que dans son courroux lorsqu’elle lance les tonnerres. Celle-ci n’en a jamais ; c’est la douceur même. »

La reconstruction de l’hôtel de Rambouillet date de 1618, d’après l’inscription d’une pierre conservée au musée de Cluny. Il fallut une dizaine d’années à la maîtresse de maison pour former son « salon, » au sens social ou mondain du mot, et pour en parachever l’éducation. Elle le conserva ensuite dans tout son éclat jusqu’à la Fronde, qui vint troubler la vie de l’esprit et suspendre les plaisirs du monde. La belle période de l’hôtel de Rambouillet coïncide donc exactement avec la première jeunesse de la Grande Mademoiselle, qui était née en 1627, et avec celle de Mme de Sévigné, qui avait un an de plus.

La grande nouveauté des débuts fut l’espèce d’avancement accordé aux gens de lettres, qui furent reçus dans la Chambre bleue sur le pied de gens du monde. Cela ne s’était jamais vu. On avait toujours recherché les « beaux esprits, » mais on les traitait comme méritaient de l’être, après tout, de pauvres hères qui vivaient presque tous la main tendue et l’échine ployée, faisant assaut de complaisances équivoques et de dédicaces écœurantes pour obtenir un sac d’écus ou s’assurer une place au bas bout de la table. Pour un Balzac ou un d’Urfé, qui vivaient sur leurs terres, combien de Sarrazin et de Costar, combien de parasites-nés, sous peine de crever de faim ! Ils auraient eu dix fois plus de talent que ce n’était le cas, qu’il leur aurait tout de même été impossible de mettre de la dignité dans leur existence. Il n’y avait pas de journaux, ni de revues, ni de propriété littéraire, ni de droits d’auteur au théâtre : comment gagner son pain, si ce n’est par des voies détournées et des moyens bas ? Comment acquérir la fierté, le respect de sa profession et de soi-même, quand le premier hobereau venu vous faisait bâtonner aux applaudissemens de la galerie ? Comment ne pas rester pédant jusqu’aux moelles quand c’était la seule chose qui rapportât dans le métier, quand on n’était logé et pensionné que pour être « bel esprit » de la tête aux pieds et sans une heure de relâche, dans son costume, dans ses manières, dans chaque mot qu’on disait, afin que le maître en eût pour son argent et apparût aux yeux de tous en protecteur des lettres ? Aujourd’hui que les écrivains sont au pinacle ; qu’on en est même venu à s’exagérer les mérites de leur