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« Si Voiture était de notre condition, il n’y aurait pas moyen de le souffrir. »

Il était petit badin avec indiscrétion. Il prenait à chaque instant des familiarités qui obligeaient de le remettre à sa place, comme le jour où il voulut baiser le bras d’une des filles de la maison. On lui donnait sur les doigts, il demandait pardon, mais ne se corrigeait point ; la vanité l’en empêchait. C’était aussi la vanité qui le rendait jaloux et colère. Chose plus grave, il était mal sûr, d’après Mlle de Scudéry, qui n’est point mauvaise langue. Sa littérature lui ressemble ; tout ce qu’il a écrit est petit et coquet, délicat souvent et plein de grâce, mais de vrais colifichets, et, quant à son goût, ce fut lui qui se chargea d’aller dire à Corneille, après la lecture de Polyeucte à l’hôtel de Rambouillet, qu’il ferait bien de garder sa pièce dans un tiroir. Sur la fin de sa vie, Voiture se teignit la barbe et les cheveux, tourna un peu au pitre pour n’avoir pas su vieillir, et devint fatigant par son caractère irritable. Il n’en fut pas moins jusqu’à son dernier jour l’enfant gâté de Mme de Rambouillet et de toute sa société, parce qu’il n’avait pas le gourmé et le compassé des autres. Plus de trente ans après sa mort, Mme de Sévigné rappelait avec délices son « esprit libre, badin et charmant, » et ajoutait : « Tant pis pour ceux qui ne l’entendent pas. » Voiture aurait pu se dispenser d’être un solliciteur et un obligé ; son père avait fait de bonnes affaires dans les vins. L’usage s’en mêlant, il crut qu’il y allait de sa gloire d’avoir sa part du gâteau et profita de ses belles relations pour se faire donner de toutes mains pensions, charges et bénéfices. Ses revenus devinrent considérables. Mme de Rambouillet le nourrissait.

Valentin Conrart, le premier secrétaire perpétuel de l’Académie française, fut le plus utile, sinon le plus brillant, des membres du « rond. » Il était le bon sens de la maison, l’ami sage et discret à qui l’on s’en remettait avec la même confiance du soin de garder un secret délicat ou de donner la bonne prononciation d’un mot. Un peu pédagogue, inévitablement, à force de corriger les ouvrages des autres, la jeunesse le trouvait quelquefois bien sérieux. Conrart me fait l’effet de n’avoir jamais oublié qu’il était protestant, de s’en être souvenu en parlant, en marchant, en dormant, en rimant de petits vers à Alphise ou à Lycoris, parce que ce n’était pas une chose qu’il fût alors permis d’oublier ; tout vous le rappelait atout instant : « C’est un si grand désavantage selon le monde que d’être huguenot, » écrivait-il en 1647 à un