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d’usage personnel, ustensiles et meubles divers. Au partage des dépouilles d’un pestiféré, plus d’un héritier a trouvé dans son lot les microbes du mort, supplément d’hoirie inattendu. On connaît l’histoire d’une femme de Toulon qui, pendant l’épidémie de Provence de 1720, légua à ses parens et amis la peste enfermée dans les plis de sa garde-robe. Grassi, que nous citons encore d’après Netter, rapporte quelque chose de pareil à propos de l’épidémie qui, en 1829, désola le couvent de Saint-Jean-d’Acre. Le fléau éclata à l’ouverture de caisses pleines de vêtemens de pestiférés morts deux ans auparavant. Si l’observation est exacte, elle prouverait que le microbe pathogène peut conserver sa vitalité et sa virulence vingt fois plus longtemps que ne l’indiquaient les expériences directes que nous avons rappelées tout à l’heure. Une vitalité latente de deux années, c’est autre chose qu’une survie de quelques jours ou même d’un mois. L’observation du médecin d’épidémie contredit ici les résultats obtenus par l’expérimentateur. On pourrait, il est vrai, insinuer que l’expérience est certaine, tandis que l’histoire de ces caisses l’est moins.

Le doute, néanmoins subsiste ; et il est fâcheux. On aurait le plus grand intérêt à être bien fixé sur la véritable durée de la survie du bacille de la peste hors de son milieu naturel de culture, — si l’on ose appeler ainsi l’organisme vivant qu’il vient infester. La défense contre l’invasion du fléau ne saurait être organisée sérieusement si l’on reste dans l’ignorance de ce renseignement essentiel.


Il ne s’agit pas seulement des objets qui ont été en contact direct avec les pestiférés et dans lesquels s’est conservé le bacille. Celui-ci peut tout aussi bien s’être conservé dans des étoffes ou des matières qui n’auront jamais approché d’un malade. Il suffit qu’elles aient plus ou moins longtemps traîné dans les échoppes des mercantis ou dans les bazars. Les germes infectieux flottant dans les poussières d’une ville contaminée se déposent avec ces poussières sur l’objet et, transportés avec lui, par quelque acheteur, dans une localité lointaine, ils peuvent y semer le fléau. C’est l’histoire de cette épidémie réduite qui se produisit, à l’hôpital des marins, à Londres, au mois d’octobre 1896, et qui fit seulement trois victimes. Deux cuisiniers de bord avaient acheté à Bombay des foulards éclatans qu’ils s’empressèrent d’arborer une fois débarqués aux Docks. Cette velléité d’élégance leur coûta