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j’aime des yeux, mes mouchoirs ont pu l’attester. Mais, pour le cœur ! » Et il protestait avec véhémence contre cette réputation de sécheresse qu’on voulait lui faire et à laquelle, assurément, son fils ne croyait pas. « Ah ! rassurez-moi sur ce point, j’en ai besoin. »

La lettre est longue, et trop d’autres devront être citées pour qu’on puisse donner à celle-ci une place plus étendue. Les dernières lignes en résument exactement l’esprit : « A propos de commission, je suppose que vous voyez quelquefois mon Elie. Dites-lui, je vous prie, que son père l’aime de tout son cœur et ne sera heureux que le jour où il pourra le serrer dans ses bras paternels. » Ainsi l’éloignement ne refroidissait pas le cœur du roi. Quoique à distance, Decazes le retrouvait tout entier avec sa sollicitude et sa chaleur accoutumées.


II

Rassuré de ce côté, le ministre tombé ne trouvait pas dans l’attitude de ses successeurs les mêmes raisons de se réjouir et de se déclarer satisfait. A la tribune de la Chambre des Députés, à celle de la Chambre des Pairs, dans la plupart des journaux, même dans ceux qu’on disait enrôlés sous la bannière ministérielle, il était attaqué tous les jours avec une rare violence, injurié, outragé même, et nulle part il n’était défendu.

Libre de ses mouvemens et resté à Paris, il n’aurait eu besoin de personne pour se défendre. Mais, en faisant appel à son dévouement à la monarchie, en obtenant de lui qu’il s’exilerait, on lui avait lié les mains ; on l’avait, comme il disait, paralysé. Il en concluait que ce qu’il ne pouvait faire lui-même pour son honneur et sa sûreté, ceux à qui il s’était généreusement sacrifié devaient le faire. C’était là pour eux un impérieux devoir, mais ils ne semblaient pas le comprendre. Ils abandonnaient Decazes aux outrages du député Clause ! de Coussergues, aux attaques du pair de France duc de Fitz-James, aux insultes du journaliste Martainville, à toutes les odieuses inventions de l’esprit de parti, dont sa chute n’avait épuisé ni les haines ni les vengeances. A la douleur d’être tombé du pouvoir s’ajoutait pour lui celle de voir, à tout instant, l’implacable mauvaise foi de ses adversaires travestir ses actes et calomnier ses intentions. Ce qu’il éprouvait, il le confiait, le 10 mars, à Pasquier, avec une retenue et une