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sa proposition, le duc de Richelieu lui répondît. « Il serait beau et noble à lui de dire que la responsabilité de ce qui a été fait dans notre administration a été commune, que rien dans la mienne n’a été qu’honnête, que dans les affaires de Grenoble et de Lyon, rien n’a été fait que d’accord, que j’ai déployé activité et zèle, qu’il faut reconnaître que jamais police n’a été moins inquisitoriale que la mienne, qui cependant n’a pas manqué de prévoyance. » Et il concluait en déclarant que tant qu’il n’aurait pas été vengé par le cabinet des attaques de Clausel de Coussergues, il lui serait bien difficile, sinon impossible, d’aller prendre possession de son ambassade.

En même temps qu’il s’exprimait avec cette franchise et cette vivacité dans ses lettres au roi et aux ministres, il s’appliquait à ne rien laisser transpirer, au dehors, de son mécontentement et de sa colère. Il voulait bien s’en ouvrir à eux, mais non à des étrangers. Villemain, dont il avait encouragé les débuts dans la vie publique en lui ouvrant le Conseil d’Etat et qui lui en gardait la plus vive reconnaissance ayant blâmé sévèrement, dans une de ses lettres, l’inexplicable silence des ministres en ce qui concernait leur collègue d’hier indignement calomnié, il lui répondait :

« Je suis trop loin du théâtre des affaires pour pouvoir les bien apprécier et je ne saurais assez bien juger la position du ministère pour condamner son silence sur ce qui me touche et l’apparence d’abandon qu’il s’est donné en ne défendant ni mon administration ni mon caractère. Je connais assez mes anciens collègues pour être assuré qu’ils ont fait ce qu’ils ont cru indispensable pour la chose publique et que ce sacrifice leur aura été plus pénible qu’à moi. J’ignore ce qu’à leur place j’aurais fait. J’aurais été bien malheureux si la politique n’eût pu s’accorder avec l’amitié. L’an dernier, j’aurais cru faire une faute et manquer à un devoir en n’avouant pas M. Corvetto et toutes ses opérations d’emprunt, quoique j’eusse quelquefois différé d’avis avec lui sur les détails. Mais la position n’est pas la même et je peux m’affliger mais non me plaindre et encore moins condamner. »

Ce n’était là qu’un généreux mensonge, un beau triomphe sur soi-même, et Decazes s’exprimait tout autrement quand il écrivait au roi, à Pasquier ou à Richelieu, à qui le même jour il adressait une longue lettre au sujet de la loi électorale. Mais ce qu’il leur disait à eux, il se fût reproché de le dire à des tiers. Dans la correspondance qu’il entretenait avec tant de gens, il jouait la