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naturellement ces variantes rythmiques entraînaient des changemens d’éthos correspondans. « Parmi les rythmes, dit Aristide Quintilien, les plus tranquilles sont ceux qui, en commençant par le temps frappé, calment d’avance l’esprit ; ceux qui donnent à la mélodie comme point de départ un temps levé, expriment plus d’agitation. » Ancienne ou moderne, toute musique atteste cette loi. Une différence d’attaque ou d’ictus crée une différence morale entre le début de la Marseillaise et celui de la symphonie héroïque. Héroïques tous deux, ils ne le sont pas de la même manière : le temps frappé, ou posé, fait la phrase de Beethoven plus contenue et comme plus maîtresse de soi ; c’est le temps levé qui imprime à la Marseillaise le premier élan de sa véhémence et de sa fureur. Anapestes ou dactyles, ïambes ou trochées, tous ces types divers, qu’on appelait des « pieds, » n’étaient que les élémens premiers de la rythmopée antique. Le développement du génie poétique et musical de la Grèce a consisté dans la combinaison de ces unités fondamentales, dans la création entre elles de rapports dont nous pouvons à peine imaginer le nombre, la logique et l’ingéniosité. Les pieds commençaient par former des mesures, des membres, qui se groupaient ensuite en périodes. Celles-ci « entraient à leur tour dans des organismes plus vastes, — strophes, systèmes ou commata, — qui eux-mêmes ne formaient que les subdivisions de la composition entière, du canticum : l’unité poétique dans laquelle venaient s’absorber en dernier lieu tous les élémens précédemment énumérés[1]. » Il est bon de contempler, dans l’ouvrage de M. Gevaert, le tableau rythmique d’une tragédie ou d’une comédie grecque : l’Alceste d’Euripide ou les Nuées d’Aristophane. Il faut étudier, avec M. Croiset, l’anatomie détaillée d’une ode de Pindare, pour comprendre ou du moins soupçonner ce que fut, au point de vue du rythme et par le rythme, la musique de la Grèce. Comme l’architecture dans l’espace, la musique alors construisait dans la durée les plus admirables édifices. Et ceux-ci, comme toute création du génie grec, offraient les deux caractères, possédaient la double perfection de l’ordre et de la liberté. « Une grande strophe de Pindare, écrit M. Croiset, — et nous devons entendre de la musique ce qu’il dit de la poésie, — une grande strophe de Pindare forme un ensemble très compliqué.

  1. M. Gevaert.